L’Europe
traverse une grave crise de légitimité démocratique, pendant ce temps-là on
nous présente les lobbies comme un atout démocratique, justement. Les lobbies
contribueraient à renforcer la démocratie européenne en informant les citoyens
sur les sujets chauds à Bruxelles. Hélas, il ne s’agit là que d’un mensonge
éhonté, qui se base sur l’ignorance qu’ont les citoyens des rouages bruxellois.
Les lobbies, répétons-le, ne travaillent pas pour l’intérêt général, mais pour
des intérêts particuliers.
« Le
lobbying a un rôle démocratique en Europe ».
Voilà
la soupe qu’on nous
sert actuellement, alors que nous sommes bien obligés de constater les failles
du processus démocratique européen. Il y a plein de formes de lobbying à
Bruxelles : les syndicats, les régions, mais surtout les multinationales.
Leur but n’est pas de démocratiser l’Europe mais de peser sur les
décisions politiques afin qu’elles leur soient favorables. Les exemples
montrant que le poids des lobbies a joué contre l’intérêt général sont
innombrables (voir infra), et le processus toujours le même : la
fourniture de « rapports » et d’ « expertises » aux
institutions concernées.
«
Les groupes d’intérêt jouent un rôle de relais de diffusion, au niveau
national, d’un certain type d’informations sur l’Europe. Ils agissent certes
selon des logiques différentes, à destination de publics cibles, en mobilisant
une multiplicité de méthodes et stratégies de communication (et la
« communication » n’a rien à voir avec l’information, ce n’est pas
pour rien qu’il y a la section « info » et la section
« com » dans facs), mais opèrent tous une sélection, souvent à
travers un cadrage national ad hoc, de l’information sur l’Europe (et apparemment
c’est vraiment génial que les lobbies sélectionnent les infos qu’ils
fournissent aux citoyens, qui seraient probablement mieux informés avec une
info relativement objective). En ce sens, ils assurent une médiation
partielle de l’information produite massivement par la « machine
communautaire » pour l’adapter à leurs publics. Il n’en
demeure pas moins que, en dépit de leurs stratégies propres de communication et
du rapport instrumental qu’ils ont à l’information, ces relais nationaux
sectoriels jouent un rôle positif dans la sensibilisation des publics aux
questions européennes, en particulier par l’éclairage expert qu’ils apportent
sur ces dernières. Ils semblent ainsi participer de l’éveil d’une
« conscience européenne » »
Mais
c’est vraiment magnifique ! Les lobbies, comme par hasard, présentent
l’Europe (via une sélection des « informations ») de la manière qui
convient le mieux pour vendre cette même Europe, selon les critères des
européens convaincus. Alors de deux choses l’une : soit l’Europe telle qu’elle est convient
réellement à ces lobbies, et ils la promeuvent parce qu’elle leur est
favorable ; soit –mais on n’ose l’envisager- les lobbies et les intérêts
qu’ils représentent font une active propagande auprès de l’opinion pour qu’elle
adhère à l’idée de l’Europe qu’on lui vend, et ne cherche pas à comprendre ce
qu’est réellement l’Europe ni comment elle fonctionne.
Quoi
qu’il en soit, les canaux de cette « information » sur l’Europe sont
bien rôdés, puisque les médias reprennent complaisamment leurs communiqués de
presse. On nous cite même en exemple le Medef, qui « forme » ses
adhérents sur les questions européennes. Sur le site de la Chambre de Commerce
et d’Industrie de Paris, on a même la diligence de nous fournir un guide
intitulé « Réflexes
et atouts du lobbyiste européen. Mémento des démarches à suivre », où
l’on peut lire comme 1ere recommandation de « démystifier le lobbying
et comprendre qu’il s’agit d’un outil démocratique ». Etrangement, on
retrouve le même argument que celui de nos spécialistes en sciences politiques,
qui ont manifestement fait leur le credo des lobbyistes.
Une
autre
spécialiste nous explique la « place
centrale » de l’ « expertise » des groupes d’intérêt
(= lobbies) pour « l’efficacité du système politique communautaire ».
Déjà, en parlant d’ « expertise », on frôle la désinformation. Les
cabinets de lobbying sont certes « experts » dans leurs domaines,
mais les rapports qu’ils fournissent à la commission sont évidemment
complètement orientés, car c’est bien là leur raison d’être. Il est vrai qu’aujourd’hui
on nous sort des « experts » et autres « spécialistes »,
comme un étendard justifiant tout et n’importe quoi, de la guerre en Irak aux
OGM. S’il y a controverse « attention : expert ! », devient
argument d’autorité. Par qui ledit expert est financé, pourquoi a-t-on fait
appel à lui, tout cela n’est que détail.
L’auteure
explique que la Commission est souvent dans « l’incertitude » par
rapport aux dossiers qu’elle traite, et que fort heureusement les
« experts » sont là pour fournir foison de rapports et d’informations
tout à fait objectives.
Elle
cite l’exemple du nucléaire, parfaitement révélateur de la manière dont les
choses se passent. Les étapes sont toujours les mêmes :
- la Commission
décide de s’informer sur la question, et forme au début des années 90 une
cellule (NUSAC) d’experts externes et européens sur la question de la
coordination de la sécurité nucléaire.
- les entreprises
et industries nucléaires européennes, comme par hasard, sont déjà
regroupées dans le Twinning Programme Engineering Group (TPEG, avec dedans
EDF, la belge TRACTEBEL et italienne ENEL, l’espagnole DTN, la britannique
MAGNOX, la suédoise Vattenfall, la néerlandaise GKN, la finlandaise
IVO/TVO, et l’association VGB, représentant en particulier l’entreprise
allemande RW, mais il y en a d’autres comme le TSOG…), et travaillent déjà
régulièrement sur le sujet avec la Commission.
- la commission
commande des « études techniques » au TPEG, et les premières
sont carrément faites par les entreprises (mais pour toutes les réformes, y
compris celle du marché du travail ou des retraites, c’est le même
système)
- En 1993, la
Commission –après avoir bien lu les « expertises » des
entreprises du secteur- élabore son
« plan directeur » (c’est souvent un Livre Vert), « préparé
suite à un rapport technique fourni par le TPEG », dixit
l’auteure pro lobbies. Comme par hasard, la Commission conclut que la
fermeture des réacteurs les moins sûrs serait «économiquement
difficile » car on dépend trop du nucléaire. (on aurait pu y penser
avant, mais les experts ont du dire que y’avait le temps).
Après,
le processus législatif ou réglementaire est lancé.
Et
puis, il faut à ce stade comprendre ce qu’est la technique dite
« du tourniquet » : un attaché parlementaire à Bruxelles,
par exemple, travaillera 2 ou 3 ans à ce poste, puis passera dans un cabinet de
lobbying, puis redeviendra fonctionnaire, ce qui lui permettra de faire passer
les revendications des lobbies avec lesquels il a travaillé. Cette technique,
comme le lobbying en lui-même, nous vient des Etats-Unis, où c’est chose
classique qu’un administrateur de multinationale ait des responsabilités au
sein du gouvernement, par exemple. Souvent, là-bas, il n’y a d’ailleurs même
plus de tourniquet : ils occupent les deux types de fonctions en même
temps.
Il
est hélas un constat réel dans tout cela, corroboré
par Florence Autret, journaliste très calée sur le lobbying et l’Europe :
« la Commission a éminemment besoin des lobbies, au point de les
solliciter, voire de les susciter. ». La même explique que les
consultations de la société civile par la Commission ne sont qu’un
« vernis démocratique », car l’influence prépondérante n’est pas
détenue par les citoyens mais par les « experts » qui défendent des
intérêts particuliers.
Il
faut admettre aussi, hélas, que les lobbies sont parfaitement institutionnalisés
au sein de l’Europe, au point qu’ils décident eux-mêmes de se doter (ou non)
d’un code d’éthique, absolument pas contraignant faut-il le préciser ? On
en est même, en France, à estimer que nous avons un gros retard sur
le lobbying à Bruxelles, même si nos parlementaires considèrent qu’il y a
depuis quelque temps « un
léger mieux ». Car effectivement, à ce jeu-là on ne peut pas avoir
moins d’influence que les autres. C’est donc lobby contre lobby, et alliances
de lobbies en fonction des thèmes sensibles, à Bruxelles. Attac Bruxelles
évoque d’ailleurs une « gouvernance des experts », qui n’a rien à
envier à la bureaucratie soviétique.
Quand
on sait, pour ne prendre qu’un exemple évocateur, que l’AIEA (Agence
Internationale de l’Energie Atomique, qui a pour but de défendre le nucléaire
et a de nombreux « experts » proches des industries nucléaires qui
font des rapports très objectifs), empêche toutes
les études sérieuses sur les conséquences de
Tchernobyl, on relativise l’objectivité des informations véhiculées par les
groupes d’intérêts. Mais ce n’est qu’un cas parmi tant d’autres.
Quelques
exemples de lobbying à Bruxelles :
- sur
le projet
REACH destiné à limiter
les produits chimiques dangereux en Europe.
- sur
les retraites
- sur
les émissions de CO2
- sur
la transparence
du lobbying
à Bruxelles
- sur
les médicaments génériques
merci pour le bon papier. Une remarque : je trouve que votre approche reste trop marquée par le point de vue français sur la question, qui stipule que parce que l'État est la voix du peuple, rien ne doit venir interférer avec sa gestion des affaires de la cité. Problème, l'État n'est ni omniscient ni éternel et a donc des compétences et des capacités limitées pour s'informer et agir sur les (toujours plus) nombreux sujets dont il doit s'occuper. En France, ce paradoxe aboutit à un silence presque complet sur la question, on fait comme s'ils n'existaient pas... Une belle hypocrisie. L'AN vient seulement de pondre un rapport sur la question qui devrait servir de base à un projet de loi, mais on est loin, très loin des normes ne serait-ce que bruxelloises en matière de transparence et de responsabilité du lobbying, c'est dire. De plus, les choses bougent, comme vous le savez si vous suivez les activités d'ALTER-EU (projet de registre européen trans-institutions en matière de transparence du lobbying auquel cette coalition d'ONG n'a pas peu contribué). Il faut de plus mentionner les problèmes de sous-effectif qui rendent les institutions européennes, et particulièrement la Commission, dépendantes des lobbies : elles n'ont tout simplement pas assez de monde pour se baser sur de l'expertise interne solide. De plus, tous les lobbies ne sont pas à mettre dans le même sac : Corporate Europe Observatory est aussi, à sa manière, un lobby
Bref. Vous avez fait l'IEP de Rennes? Moi aussi. Quelle année?