Depuis
quelque temps, des études tendent à montrer que certains antidépresseurs
prescrits régulièrement ont davantage tendance à augmenter les cas de
dépression chez les enfants et adolescents, qu’à les diminuer. Tandis que les
études menées par les labos, la connivence des médecins et chercheurs avec les labos ou les techniques "marketing" des mêmes labos, elles, commencent à être dénoncées. La FDA est
donc obligée d’enquêter.
En France, 15% de la population sont diagnostiqués comme étant "dépressifs", une proportion impressionnante si l'on se rappelle que les antidépresseurs datent seulement de 1957. La
seule revue médicale indépendante, Prescrire, publiait en juin un
article qui
relativisait largement l’efficacité de certains antidépresseurs prescrits
aux enfants comme aux adultes. Les risques pourraient même aller jusqu’au décès
dans 0,4 cas sur 100.000 avec une catégorie de ces médicaments, les « imipraminiques ».
D’autres seraient inefficaces… Conclusion : le rapport bénéfice/risques
est défavorable.
Des
traitements qui amènent davantage au suicide que des placebos
Mais
d’autres médicaments pourraient avoir les mêmes conséquences, comme des antiépileptiques :
« There was a statistically significant increased risk of suicidal
behavior and suicidal ideation in the patients randomized to receive an
antiepileptic drug compared to patients who received a placebo », a
dit la FDA (Food & Drug administration) en février.
Voici
un tableau qu’elle a publié dans le même communiqué, montrant les différences
de tendance au suicide entre ceux qui ont pris des placebos et ceux qui ont
pris les médicaments incriminés :
Relative Risk and Risk Difference for Suicidality According to Trial
Indication
Indication |
Placebo Patients with Events Per
1000 Patients |
Drug Patients with Events Per 1000
Patients |
Relative Risk: |
Risk Difference: |
Epilepsy |
1.0 |
3.5 |
3.6 |
2.5 |
Psychiatric |
5.2 |
8.3 |
1.6 |
3.1 |
Other |
0.8 |
2.0 |
2.3 |
1.1 |
Total |
2.2 |
4.3 |
2.0 |
2.1 |
Dans
la panoplie des médicaments qui donnent des
idées de suicide, on trouve encore le Prozac parmi d’autres
antidépresseurs, ou même un produit destiné à arrêter de fumer, un autre contre
l’incontinence... La FDA a donc diligemment
demandé aux labos de refaire quelques tests, un peu moins
bidons ceux-là.
Il
faut dire que grâce à un tout nouveau règlement, la FDA avait bloqué en 2007 un
médoc de Sanofi destiné à lutter contre l’obésité (le Rimonabant), soupçonné
lui aussi de coller des suicides. Puis c’est le même médoc, basé sur la même
molécule mais de chez Merck, qui est vilipendé.
Ainsi
la FDA a publié en 2007 une liste
d’antidépresseurs engendrant davantage de suicides que les placebos, ce qui
il faut bien le dire est quelque peu fâcheux pour des anti dépresseurs. Dedans,
donc, le Prozac, mais encore une trentaine de molécules différentes. Glaxo
SmithKline est poursuivi par une famille US depuis le mois dernier pour le
suicide en 2002 de leur fils de 16 ans traité au Paxil, un médicament sur
lequel pesaient déjà certains doutes. Manque de chance, c’est seulement en 2003
que la FDA a précisé qu’il valait mieux éviter de prescrire du Praxil aux
enfants et adolescents soi disant parce que l’efficacité sur eux n’était pas
prouvée, avant de parler clairement de risques en 2006. Quoi qu’il en soit, la
famille pense que le labo connaissait les risques nocifs au moins dès 2002.
Des
médicaments censés traiter les
troubles bipolaires augmenteraient eux aussi les risques de suicide, comme
l’ont montré différentes études du début des années 2000.
Est-ce
paradoxal ?
Si
en plus de tout cela, on prend en compte le fait que les antidépresseurs font
partie des médicaments pour lesquels l’industrie pharmaceutique fait le plus de
publicité auprès des médecins, via les revues médicales financées par
l’industrie, ou encore via les « visiteurs
médicaux » (qui absorbent autant
de budget que la recherche et développement –R&D- dans la plupart des grandes
firmes pharmaceutiques, si bien qu’en France un généraliste reçoit en moyenne
330 « visites » par an), on relativise le phénomène. Et bientôt,
grâce à la « directive
médicament », même les patients auront droit de se faire
« visiter » par les labos pour bénéficier d’une sorte de coaching
afin de mieux suivre leur traitement.
Bref,
les techniques
de l’industrie pour influencer les médecins, le public ou les pouvoirs
publics sont nombreuses. A savoir : dans son ensemble, la publicité coûte
aux labos deux
fois plus que la recherche et développement. Ce qui permet de relativiser
l’argument selon lequel les médicaments sont chers en raison des coûts en
R&D…
Certains
articles vont même jusqu’à montrer comment lesdites firmes redéfinissent
certaines affections, élargissent
la définition de « la dépression », voire inventent des
« maladies », dans le but de vendre leurs poudres de perlimpinpin. Il
y a même un terme pour ça : on parle de « desease mangering »
pour qualifier cette propension de l’industrie à inventer une
maladie pour chaque nouveau médicament mis sur le marché. Les exemples sont nombreux
depuis les problèmes d’érection jusqu’au troubles
bipolaires pour lesquels l’industrie incite via des publicités télévisées à
consulter le « bipolar
help center », si jamais on est un peu excité ou si on a dans le
ventre un bébé un peu plus excité que la moyenne, car il convient évidemment de
traiter une telle « maladie ».
Et
puis si tout cela ne suffit pas, les firmes pharmaceutiques financent encore
les associations de patients, ou les créent. Elles créent aussi des tests de
dépistage elles-mêmes, utilisés par exemple lors de grandes « journées
nationales de dépistage de la dépression», ou lors des campagnes
de sensibilisation comme celle de l’année dernière en France, histoire que
tout un chacun se sente concerné par « la dépression », ne serait-ce
que par suggestion. Tout cela, bien sûr, en occultant les effets secondaires et
les risques de dépendance.
L’article
reprend un exemple révélateur de standardisation
mondiale des maladies mentales, cité par la journaliste Kathryn
Schultz : « l’expression dépression légère n’existait pas dans la
langue japonaise... jusqu’en 1999. Cette année-là, la compagnie Meiji Seika
Kaisha a commencé à promouvoir le Depromel (un ISRS). Selon le psychiatre
japonais Tooru Takahashi, la mélancolie, la sensibilité et la fragilité
n’étaient pas perçues comme des sentiments négatifs au Japon. « Pourquoi
aurions-nous cherché à soigner quelque chose qui ne nous semblait pas mauvais
au départ? ».
Si
la France est la championne
de la consommation de médicaments en général et de psychotropes
légaux en particulier (1 français sur 5 en consomme au moins une fois par
an), à tel point qu’on peut réellement parler d’une banalisation
de ces produits, est-ce parce que les français sont plus dépressifs que les
belges ou les allemands, ou parce que nos médecins sont surexposés à la
publicité des labos et ces médicaments –trop- bien remboursés ?
Un
journaliste du Guardian, Brendan Koerner, a
dégagé la méthode en huit étapes par laquelle les labos parviennent à nous
inventer des maladies uniquement pour vendre leurs médicaments :
- On met en
évidence une affection mineure dont pourrait souffrir un grand nombre de
personnes (le trouble dysphorique prémenstruel ou le trouble d’anxiété
généralisée, par ex.).
- Les
pharmaceutiques financent des recherches qui démontrent l’efficacité du
médicament.
- Sur la foi d’un
petit nombre d’essais cliniques, la FDA autorise la mise en marché du
médicament, qui a été testé uniquement contre des placebos.
- Dans des articles
pour la presse grand public ou la presse scientifique, des médecins
éminents (souvent rémunérés par des pharmaceutiques) mettent en évidence
la gravité et la prévalence de l’affection.
- On minimise les
effets indésirables du médicament, ou on ne les mentionne pas, dans les
annonces publicitaires ou dans les rapports de recherche.
- Les résultats
négatifs des essais cliniques ne sont ni publiés ni diffusés.
- On confie la
promotion du médicament dans les médias à de firmes de relations
publiques. Pour démontrer l’efficacité du médicament, on cite des
statistiques provenant d’études commanditées par le secteur privé.
- Afin de donner un
« visage humain » à cette nouvelle affection, on crée et on finance un
regroupement de personnes qui en souffrent. Leurs témoignages et leurs
commentaires seront largement diffusés dans les médias76.
En
1952, les professionnels de la maladie mentale de l’American Psychiatric Association (APA) créent
le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) qui
recense les maladies mentales. A l’époque, en 1952, lesdits professionnels
ont dénombré 60 pathologies différentes. En 1968, la deuxième édition en recense
145, toutes ou presque classifiées dans la névrose ou la psychose. Arrive la
troisième édition, en 1980, et ses 230 maladies mentales, et à partir de là on
considère que la maladie mentale est davantage d’origine biologique
qu’affective ou liée au vécu. Ca permet de trouver encore plein d’affections
différentes, si bien que la quatrième édition, en 1994, reconnaît 410 troubles
mentaux.
D’après
Wikipédia, cette dernière version a fait un nouveau tri dans ces
maladies :
- pathologies
psychiatriques caractérisées, troubles de développement mentaux et de
l'apprentissage, addictions et intoxications
- troubles de la
personnalité et retard mental
- pathologies
autres que psychiatriques ou neuropsychiatriques. On parle aussi
d'affections médicales générales
- fonctionnement
social et environnemental, impact des symptômes
- échelle de fonctionnement
global
Une
étude publiée en
2006, intitulée « Liens d'intérêts financiers entre comité d'experts du
DSM-IV et industrie pharmaceutique », révélait que parmi les 170
médecins ayant participé à la rédaction du DSM, 95, soit 56%, « présentaient
au moins un des onze types de liens financiers possibles avec une compagnie de
l’industrie pharmaceutique.
Dans 6 commissions sur 18, des liens avec
l’industrie pharmaceutique ont été trouvés chez plus de 80 % des membres.
Ces liens concernent 100 % des membres du groupe de travail
« Troubles de l’humeur » (n = 8) et du groupe « Schizophrénie et
désordres psychotiques » (n = 7)
[ces deux groupes de maladies étant ceux pour lesquels on prescrit le plus de
psychotrope, comme par hasard], ainsi que 81 % du groupe
« Troubles anxieux » (n = 16), 83 % du groupe « Troubles de
l’alimentation » (n = 6), 88 % du groupe « Troubles
kinesthésiques liés à la prise de médicaments » (n = 8) et 83 % du
groupe « Troubles dysphoriques prémenstruels » (n = 6). »
Et
sur les liens financiers : « Parmi les membres des panels ayant
des liens avec l’industrie pharmaceutique (n = 95), 76 % avaient reçu
des subventions de recherche, 40 % des revenus comme consultants, 29 %
travaillaient dans la communication, et 25 % percevaient des honoraires
d’un autre type. Plus de la moitié des membres ayant un lien financier
présentaient plus d’un type de relation financière l’engageant auprès d’une
compagnie. Onze membres avaient 5 types de liens. »
Et
la direction actuellement en place pour le DMA V qui devrait sortir en 2012
n’est pas plus transparente : le magazine US News & World avait
décelé que « 19 membres sur 27
au moins ont des liens avec les compagnies pharmaceutiques ». Gageons
qu’une bonne centaine de maladies mentales seront encore ajoutées à
l’interminable liste du DMA. Une étude du New York Times de janvier 2008
montre que « les psychiatres touchent plus d’argent des laboratoires
pharmaceutiques que les médecins de n’importe quelle autre spécialité ».
Et comme par hasard, les psychotropes sont la 1ère source de dépense
pour le programme Medicaid, destiné aux pauvres.
Le
Figaro, qui reprenait aussi cette
étude, citait
un exemple concret parmi les dizaines possibles : « Assez
récemment, un jeune retraité d'un laboratoire pharmaceutique a expliqué à l'un
de nos interlocuteurs que le concept «d'attaques de panique», qui est classé
dans le DSM4, avait été spécifiquement élaboré par Donald Klein pour le
laboratoire Upjohn qui allait mettre sur le marché le médicament Xanax. ».
Aux Etats-Unis, les associations citoyennes, et enfin la FDA, commencent à soulever
le voile sur ces questions, en pointant les relations
« incestueuses » de l’American Psychiatric Association avec les
labos, dont une vingtaine ont investi en 2008 environ 30 millions de dollars
dans ladite APA.
Quelques
exemples (mais il y en a de nombreux autres dans le rapport), pour les
Etats-Unis, dans les groupes DSM puis au Congrès Mondial de psychiatrie :
- David Kupfer, Professor and Chair,
Department of Psychiatry, University of Pittsburgh School of Medicine, was a
member of the DSM-IV Task Force and is Chair of the DSM-V Task Force. He has
been a consultant to Eli Lilly & Co., Hoffman-LaRoche, Pfizer, Forest Labs
and Servier and also sat on the advisory boards of Eli Lilly & Co., Forest
Labs and Pfizer.
- Joseph Biederman, Chief of the
Clinical & Research Program in Pediatric Psychopharmacology, Massachusetts
General Hospital gave seminars at the APA convention on pediatric bipolar disorder
and ADHD, the latter funded by Ortho-McNeil Janssen Scientific Affairs.
Biederman has received research funds from 10 pharmaceutical companies,
including manufacturers of antipsychotic drugs prescribed for bipolar. He was a
member of the DSM-IV committee overseeing what infant, childhood and adolescent
disorders would be included. His labeling of children with “bipolar” has been
attributed to the increase in antipsychotic drug sales for pediatric use. In
2007, such promotion was blamed, in part, for the death of 4-year-old Rebecca
Riley fromMassachusetts. She died from
a prescribed cocktail of psychiatric drugs that included antipsychotics. Dr.
Lawrence Diller, a California behavioral
pediatrician, told The Boston Globe, “I find Biederman and his group to
be morally responsible in part. He didn't write the prescription, but he
provided all the, quote, scientific justification to address a public health
issue by drugging little kids.” The New York Times exposed how Biederman
earned $1.6 million in consulting fees from drug makers between 2000 and 2007
but did not report much of this income to Harvard University officials. In
2008, his financial conflicts of interest were the subject of a U.S.congressional
investigation.
- David Shaffer, Professor of
Child Psychiatry at Columbia University and Director, Division of Child
Psychiatry, New York State Psychiatric Institute, is part of a symposium
discussing “disorders of childhood: A DSM-V research agenda.” Shaffer was a
member of the DSM-IV Task Force and is responsible for inventing TeenScreen, a
subjective survey conducted on teens in schools to determine if they are
potentially suicidal. He admits there’s a potential 84% chance of wrongly
identifying students using his survey, potentially put them at risk of being
prescribed suicide-inducing antidepressants. Shaffer has served as an expert
witness for Hoffman la Roche and Wyeth. He was also a consultant to
GlaxoSmithKline on Paxil (paroxetine) and adolescent suicide and has been a
paid consultant for Pfizer, another antidepressant maker.
- S. Charles Schulz, Professor and
head of the Department of Psychiatry,University of
Minnesota Medical School Minneapolis, Minnesota, was a DSM-IV
project participant. His industry-supported seminar about “medication treatment
for youth” was funded by AstraZeneca, the manufacturer of the antipsychotic
Seroquel. The company has faced multiple suits alleging that it downplayed the
risk of diabetes with the drug. Schulz has been a consultant for AstraZeneca
and Eli Lilly & Co. and has received grants from them, Abbott Laboratories
and Janssen Pharmaceutica.
Présents au Congrès mondial de la psychiatrie:
- Dilip V. Jeste, APA Trustee
and Member of the DSM-V Task Force is a consultant to
Bristol-Myers Squibb, Lilly, Janssen, Solvay/Wyeth and Otsuka; honoraria from
Bristol-Myers Squibb, Janssen and Otsuka; received “supplemental support to
NIMH-funded grants” from Astra Zeneca, Bristol-Myers Squibb, Eli Lilly, and
Janssen in the form of donated medication for the study, “Metabolic Effects of
Newer Antipsychotics in Older Patients.” Jeste’s 2008 APA disclosure for the
DSM-V Task Force stated he received honorarium from Abbott, AstraZeneca and
Pfizer-Eisai. He also received
consulting fees from four pharmaceutical companies.
- Jan Fawcett, Professor of
Psychiatry, Chair, Mood Disorders Work Group Member, DSM-V Task Force.
He has received grants and research support from Abbott, Bristol-Myers Squibb,
GlaxoSmithKline, Eli Lilly, Organon, Pfizer, SmithKline Beecham, Wyeth-Ayerst,
and Zeneca; was a consultant to Abbott, Bristol-Myers Squibb, Eli Lilly, EM
Industries, Forest Laboratories, Glaxo Wellcome, Pfizer, Pharmacia-Upjohn, and
SmithKline Beecham; was a member of speakers’ bureaus sponsored by Abbott,
Bristol-Myers Squibb, Eli Lilly, Pfizer/Roerig, Pharmacia-Upjohn, SmithKline
Beecham and Wyeth-Ayerst.
- Nada Stotland, former APA
President who serves on the Board of the pharmaceutical company that funds the
U.S. National Mental Health Association (NMHA) that received over $2 million in
pharmaceutical company funding in one year alone. Stotland is on the speakers’
bureau for Pfizer and GlaxoSmithKline, both makers of antidepressants. In a
published article in 2008, Stotland said that “black box” warnings about
psychiatric drug risks, that include antidepressants, are “unwarranted.”
Etc.
Evidemment,
les revues dites “scientifiques” sont elles aussi noyautées
par l’industrie pharmaceutique, qui les subventionne allègrement ainsi que
les chercheurs qui y sont publiés.
A
tous les niveaux, la décision en matière de santé est influencée voire
totalement contrôlée par l’industrie pharmaceutique. De la FDA à l’AFSSA, en
passant par la Commission européenne, les médecins et désormais les patients,
chaque maillon de la chaîne ne fait qu’obéir à des principes purement
mercantiles, imposés par l’industrie.
On sera donc moins étonné de voir l’augmentation exponentielle du nombre de « maladies mentales » qu’il convient, évidemment, de traiter avec des « médicaments ». Et encore, les auteurs de l’étude précisent qu’ils n’avaient pas les moyens de vérifier la totalité des liens entre ces médecins et les labos.
Bien sur, l'histoire ne le dit pas
ATROCE