Le cirque continue : malgré tout l’argent qui a été injecté dans la « dette » grecque, les probabilités de cessation de paiement n’ont pas bougé d’un pouce. On pourrait dire que c’était prévisible, puisque la dette en elle-même n’a rien à voir avec la situation actuelle du pays. Revenons deux minutes, ou un peu plus, sur le processus en cours.
Dans cette affaire, il faut tenir compte de plusieurs facteurs :
1. 1. L’endettement massif des Etats-Unis
2. 2. La spéculation contre la dette grecque
3. 3. Le rôle des agences de notation
4. 4. Le dogmatisme ultra libéral
5. 5.La réalité : les grecs ne pourront pas payer indéfiniment
L’endettement massif des Etats-Unis, j’y reviens rapidement mais c’est un sujet dont on a déjà parlé en longueur. Pour résumer, aujourd’hui les Etats Unis doivent emprunter 6 dollars pour créer un seul dollar de richesse, de PIB. Du coup, depuis la crise et même avant d’ailleurs, la FED fait marcher la planche à billets, pour racheter les bons du Trésor (dont plus personne ne veut) et les titres pourris des banques. Les Etats Unis s’endettent donc à tel point qu’aujourd’hui ils sont au bord de la cessation de paiement puisqu’ils ont atteint le plafond autorisé pour leur dette, fixé à près de 14.300 milliards. C’est-à-dire qu’il n’y a plus un seul dollar pour payer les frais courants, les fonctionnaires, les factures des administrations etc.
Pour que ledit plafond soit augmenté, il faut un vote au Congrès et les Républicains font pression pour qu’Obama coupe à fond dans les dépenses sociales. (ils réclament 2.400 milliards d’économies).
Etrangement, les Etats Unis sont toujours notés AAA par les agences de notation qui, il est vrai, commencent à s’agiter et à menacer de baisser cette note surréaliste si on n’augmente pas la dette. D’où l’intérêt de focaliser l’attention du monde financier sur la Grèce, et sur l’euro. C’est le premier qui tombe qui a perdu. On entend ainsi Georges Soros déclarer qu’il est « inévitable » qu’un pays finisse par quitter la zone euro, sans en citer aucun. La perspective d’un éclatement de la zone euro, si possible rapidement, n’est pas pour déplaire aux financiers yankees qui auraient encore beaucoup à perdre en cas d’effondrement des Etats Unis.
Le dollar étant en train de chuter (par exemple, une once d’or est aujourd’hui à près de 1.600$) de manière catastrophique, faut attaquer l’euro et pas seulement la Grèce. Et comme par hasard, à chaque fois qu’une agence recommence à mettre la pression, la meute des spéculateurs revend des paquets de titres et l’euro chute. Ca devient même franchement monotone.
Passons à la spéculation sur la dette grecque.
Quand un Etat doit emprunter sur « les Marchés » à un taux à 10 ans de 17% (contre 7% en avril 2010 où c’était déjà « un record »), il ne faut pas espérer qu’il pourra rembourser. On frise le taux d’usure, interdit car il maintenait durablement voire à vie les gens dans la misère. Seules les banques et leurs agios peuvent atteindre de tels sommets, en principe.
Et ça a fait boule de neige, puisque l’Irlande a vu son taux à 10 ans dépasser les 11%, quand le Portugal est à un peu plus de 10%. Pendant ce temps, les valeurs européennes comme le CAC 40 sont en train de se casser la figure. Normal : il n’y a pas plus mouton qu’un spéculateur. Comme avec les subprime, ils ont voulu gagner gros sur des titres risqués, et au moment de se prendre la claque ils demandent aux contribuables de payer.
Le système est simple : comme les crédits hypothécaires pourris, la dette grecque a été divisée en petits paquets d’actions, revendues sur les marchés avec leur corollaire : les CDS, ces espèces d’assurances contre un défaut de paiement[1], eux aussi titrisés, revendues etc. Ceux qui achètent des CDS parient que la Grèce va arriver au défaut de paiement, ceux qui achètent la dette ont intérêt à ce qu’elle paie jusqu’au bout. Là où c’est drôle, c’est que ce sont souvent les mêmes qui détiennent les deux types de produits. Comme Goldman Sachs, qui achetait des CDS sur les titres subprime qu’elle vendait quand-même à ses clients.
Bref, la seule logique est de se faire du pognon, y compris sur de la dette, ce qui en soi est une aberration sur le moyen et le long terme. Mais, malgré les promesses de régulation, on en est toujours là.
La Grèce affiche une dette publique à 143% de son PIB (plus de 300 milliards d’euros), en forte augmentation malgré les mesures prises puisqu’elle était de 105% en 2010. Mais de leur côté les Etats Unis passeront d’ici peu la barre des 100%. La France, quant à elle, a vu sa dette publique passer de 65 à 85% du PIB entre fin 2007 et début 2011 (plus de 1.600 milliards). Pourtant, depuis deux ans, c’est bien sur la dette grecque que les spéculateurs font leur orgie. D’aucuns refusent de parler de complot, pourtant on sait que les patrons des plus grands fonds spéculatifs US se sont réunis le 8 février 2010 et se sont concertés pour attaquer l’euro via les titres et dérivés de dette grecque[2]. Ils se sont gavés de cette dette qui était pourtant déjà catastrophique en 2010, c’est pour cela qu’on a fait appel aux contribuables européens jusqu’à présent : il était, et il est toujours hors de question pour tous ces gens que la Grèce se trouve en défaut de paiement.
Barclays a publié en juin une liste des 40 plus gros détenteurs de titres de dette grecque, et en bonne place on retrouve les banques qu’on a du renflouer parce qu’elles avaient trop déliré avec les subprime, comme FMS, ex Hypo Real Estate qui a failli couler à l’époque, BNP, Dexia, la Société Générale, ING, la Deutsche Bank, Banque Populaire Caisse d’Epargne (BPCE), HSBC, KBC, le Credit Agricole, mais aussi des « assureurs » comme AXA, Groupama ou Allianz. Georges Soros, qui s’exprime décidément beaucoup ces temps-ci affirme sans problème que pour lui, un défaut de paiement de la Grèce est « probablement inéluctable », de même qu’une contagion : « quoi qu’il arrive en Grèce des conséquences se répercuteront sur le Portugal, alors que la situation financière de l’Irlande pourrait également devenir insoutenable ». Comme si c’était un scoop, un truc imprévisible qui vient de nous tomber dessus…
Avec un taux d’intérêt, en mars 2010, de 6,25%, c’était déjà très rentable, d’autant qu’ils ont acheté ces titres à très bas prix. Aujourd’hui c’est carrément le jackpot, pour eux. Sauf qu’avec un taux d’intérêt à 17%, les chances que la Grèce puisse rembourser diminuent considérablement. En mars 2010, les hedge funds détenaient déjà 39% des titres de dette grecque, les fonds de pension et les banques (dont les banques allemandes et françaises qui sont très exposées) chacun près de 25%. Aujourd’hui, quand ça devient trop risqué, on fait comme aux Etats Unis, ou avec Eurotunnel : on fait appel aux particuliers. On se souvient des emprunts russes au début du XXe siècle, on sait que les Etats Unis refilent leurs bons du Trésor aux ménages parce qu’ils ne valent plus rien. Aujourd’hui c’est pareil avec les titres Grecs. Ceux qui détiennent ces titres de dette, comme les hedge funds, commencent à perdre un peu d’argent puisque leurs titres perdent de la valeur (moins 2% en un an). Les hedge funds, après s’être bien gavés, commencent à sentir le vent tourner et se retirent des titres de dette souveraine grecque.
Dans l’autre sens, les acheteurs de CDS, ces contrats d’assurance bidons contre un défaut de paiement de la Grèce, attendent la faillite pour toucher le gros lot. De même que les adeptes de la vente à terme (là aussi on parie à la baisse[3]). Mais qu’on ne s’inquiète pas pour eux : dans le top cinq des pays dont la dette est visée par ces CDS, on ne trouve plus la Grèce. L’Italie est première[4] (pour 24,1 milliards de dollars), suivie par… la France (20,2 milliards), l’Espagne (18,7 milliards), le Brésil (17 milliards), et l’Allemagne (16,6 milliards). Bizarrement, on ne trouve pas les Etats Unis parmi les cibles des amateurs de CDS, alors que leur dette atteint des sommets et qu’ils sont encore plus près du défaut de paiement que la Grèce.
Au sujet de l’Italie, qui semble bien être en ligne de mire, il semble que ce soient bien les fonds spéculatifs US qui ont encore lancé la mode. Dans le même temps, le coût des CDS sur la Grèce d’augmenter de manière vertigineuse depuis le mois de juin, pour arriver à presque 2.500 ptb (points de base) contre 1.500 début juin et moins de 500 jusqu’en mai 2010. Du coup, c’est bien moins rentable d’assurer ces emprunts foireux, et au lieu de gagner 10 fois leur mise ils risquent de bientôt avoir du mal à la récupérer. Aujourd’hui, le CDS sur la dette grecque est 250 fois plus cher qu’au début de la crise. Mais, le produit reste fort apprécié. Les banques US n’ont jamais détenu autant de CDS et autres produits dérivés, par exemple.
Accessoirement, on pourrait ajouter que les 22 banques autorisées à replacer les titres de dette grecque s’en mettent elles aussi plein les poches. On retrouve dans la liste les banques qui ont été les championnes des subprime, comme BNP Paribas, la Société Général, Credit Suisse, JP Morgan, Barclays, Goldman Sachs (qui, on s’en souvient, a aussi aidé à la Grèce à dissimuler une partie de ses déficits), Citigroup, la Deutsche Bank, HSBC, ING, UBS, Morgan Stanley, Merrill Lynch et quand même la banque nationale de Grèce.
Le rôle des agences de notation
Moody’s a baissé la note de la dette du Portugal de quatre crans début juillet, malgré les plans d’austérité successifs depuis deux ans. C’est le même cirque depuis deux ans : menaces des agences, mesures d’austérité, rabaissement de la fameuse note, mesures d’austérité, menaces. Avec en parallèle un endettement croissant des Etats et une régression sociale insupportable pour la population.
Moody’s, mais aussi Standard & Poor’s menacent de baisser la note de la dette US s’ils ne relèvent pas leur dette très rapidement. Lesdites menaces sont d’ailleurs étrangement formulées : « il y a une probabilité d'au moins 50% pour que nous abaissions la note à long terme des Etats-Unis dans les 90 jours qui viennent », disait-on vendredi chez S&P. Pour un peu, leurs prédictions auraient presque eu un vague aspect scientifique.
Ce qui est drôle avec les agences de notation, c’est qu’elles ne voient jamais rien venir. Il faut qu’elles aient les pieds dedans pour commencer à s’inquiéter, comme on l’a vu avec les subprime QUAND Lehmann Brothers était encore notée AAA quelques jours avant sa faillite, et encore avec la dette US. Pour « attaquer » la dette italienne, ils achètent massivement des CDS. Le seul problème avec ce produit, c’est qu’il y a bien quelqu’un qui doit payer en cas de défaut de l’emprunteur initial, même si tout le monde s’est revendu ces CDS par paquets sans aucun contrôle. On a vu avec la faillite d’AIG, qui était censée garantir un tas de CDS, qu’au moment de passer à la caisse c’est une autre histoire. Et on peut parier que ce sera la même chose si la Grèce, l’Italie ou autre fait défaut.
Quand les agences crient « au loup », il est déjà trop tard. Pour la Grèce, on sait (à part le FMI et l’OCDE[5]) depuis le début que le remboursement intégral ne sera pas possible, et il l’est encore moins avec les taux d’intérêt actuels. Bref, aujourd’hui les agences ne font encore une fois que suivre la tendance : les fonds spéculatifs, surtout les gros semble-t-il, ont connu des mois difficiles ces derniers temps, et les agences font le constat que la dette grecque et un certain nombre d’autres dettes souveraines sont désormais des produits risqués.
Début juillet, quand Moody’s a baissé la note de la Grèce, des responsables politiques ont dénoncé la folie de ces agences, tout comme des leaders portugais, expliquant que « cette dégradation n'est pas basée sur le fait que le Portugal ne fait pas son travail de réformes mais sur l'hypothèse que le pays va à nouveau avoir besoin d'aide ». D’où, bien sûr, de nouvelles mesures d’austérité dans un pays déjà exsangue. Fitch lui a emboité le pas, baissant même la note de la banque nationale de Grèce.
Lesdites agences, aujourd’hui, se permettent d’intervenir au moment des négociations politiques sur la dette grecque, histoire que les décideurs décident dans le bon sens. Début juillet, S&P a décrété qu’un aménagement de la dette tel que l’envisageait la France serait « considéré comme une restructuration », du coup la note de la dette grecque doit baisser. Elle est aujourd’hui à CCC pour Fitch. Pour les agences, aucun aménagement n’est souhaitable, et c’est la position la plus ferme puisque même la BCE serait prête à consentir un « rollover » : faire participer les créanciers de la Grèce à un nouveau tour de table à chaque fois que le pays parviendrait à payer une tranche d’emprunt. Autrement dit : un crédit revolving. Le but pour tout le monde est qu’on n’en arrive pas à une révision de cette dette, pour que les CDS n’arrivent pas à échéance.
La solution la plus évidente pour que la Grèce sorte de cette situation et ait une chance de relancer son économie serait de dévaluer, mais c’est impossible avec l’euro. Il reste l’annulation de tout ou partie de la dette, comme l’avait fait l’Argentine dans les années 90. Mais, là encore, ça tremble dans les chaumières des banquiers qui ne veulent pas qu’on diminue la valeur de leurs actions, et encore moins qu’on les déclare nulles.
D’où la pression pour poursuivre les privatisations et les coupes dans les dépenses publiques, même si tout le monde est conscient que ça ne suffira pas à rendre le pays solvable.
L’hebdomadaire Le Point expliquait ainsi que « Selon l'économiste Nouriel Roubini, en fonction des hypothèses macroéconomiques retenues, un rabotage de 20 à 50 % de la dette grecque serait nécessaire pour revenir à un endettement de 60 % du PIB d'ici... 2030 ».
Bref, peu de solutions en vue. Pourtant, les débats entre crânes d‘œuf portent sur divers replâtrages et on l’a compris, le but est que les spéculateurs ne perdent pas un euro dans l’histoire. La France s’aligne, contrairement à l’Allemagne qui aimerait que spéculateurs privés prennent à leur charge une partie des pertes, ce qui serait logique (c’est d’ailleurs la solution que les islandais ont choisie, le problème étant que ce n’est pas le cas de leur gouvernement). Les banques allemandes vont donc mettre –un peu- la main à la poche en rachetant des titres de dette grecque quand Athènes commencera à rembourser en 2014. Evidemment, elles ne devraient pas perdre d’argent, au contraire, et cela pourrait coûter cher aux Grecs en intérêts.
Au final, les spéculateurs qui seront volontaires pourront faire de même.
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Pour conclure, soyons lucides: avec un PIB de 230 milliards d'euros en 2010, comment le pays peut-il rembourser une dette publique de bientôt 350 milliards d'euros, et dont le taux d'intérêt enfle à une vitesse phénoménale? Les mesures dratiques qui sont prises en ce moment risquent d'empêcher toute reprise par la consommation, et vont faire augmenter les dépenses puisque tout le pays est en train d'être vendu au privé. A part payer pendant encore quelques dizaines d'années (si toutefois la croissance revient ce qui serait étonnant à moyen terme), les grecs n'ont aujourd'hui aucune porte de sortie, si l'on en croit la propagande libérale traditionnelle. Et même en payant, ils resteront endettés pendant encore longtemps.
Dans les instances économiques internationales, il est hors de question de faire payer cette crise par ceux qui se sont gavés sur la bête, pas plus en grèce que ça ne l'a été en Irlande, en France ni nulle part dans le monde depuis la crise.
[1] Ces méthodes sont en fait un pari à la baisse sur la valeur d’une action. On achète un titre pour le revendre à un prix prévu. Vous pensez que le titre X va baisser. Vous en achetez 10.000 à 10€, mais vous ne les possédez pas encore puisque vous ne les avez pas achetés, en fait. Mais, vous promettez de les revendre à une date fixée d’avance. Vous empochez donc 100.000€. Puis, le prix de l’action X passe à 8€, vous achetez les 10.000 actions pour 80.000€, juste avant de les remettre à l’acheteur, ce qui fait 20.000€ de plus value. Si tout le monde s’y met, les cours des actions baissent parce que les spéculateurs sont des moutons.
Pour se prémunir contre le risque que le spéculateur ne puisse pas payer ou refiler les titres, on a crée des assurances qui s’appellent des CDS (credit default swap), mais on peut en acheter sans être concerné par la transaction. Plus on en achète plus leur prix monte, et plus leur prix monte, plus les spéculateurs pensent que la transaction est risquée. C’est ce qui a fait exploser les intérêts des emprunts grecs. L’Allemagne, tente de poser de sérieuses restrictions à ce système.
[2] D’après le Wall Street Journal, étaient notamment présents George Soros, Aaron Cowen (SAC Capital), Donald Morgan (Brigade Capital) ou David Einhorn (Greenlight Capital).
[3] Avec la vente à découvert, on vend un produit qu’on ne possède pas : un titre de dette grecque vaut 50.000 euros, mais vous anticipez qu’il va chuter. Vous mettez une option sur des titres, que vous revendez à trois mois le plus cher que vous pouvez, à un prix défini à l’avance, mettons 30.000 euros. Vous les achetez à ce moment au prix du marché, par exemple 20 .000 euros et empochez la plus value, soit 10.000 euros. Si tout le monde s’y met, évidemment la valeur des titres concernés chute encore plus qu’elle ne le ferait sans la spéculation.
[4] Tout le monde se rabat donc sur l’Italie (dette publique à 120% du PIB mais déficit faible), qui voit à son tour ses taux d’intérêt augmenter. Ceux à 10 ans ont atteint 5,38% mi juillet, un record depuis octobre 2002. Les acheteurs de CDS parient que le prix des titres de dette italienne va baisser, et tout le monde s’y met. Pour eux, l’Italie va voir ses difficultés économiques augmenter. Une fois qu’elle sera à terre il faudra un nouveau terrain de jeux.
[5] L’OCDE a quand même l’optimisme d’envisager un taux de croissance du PIB de 0,6% en 2012 avec un taux de chômage à 16%. Quant au FMI, il voit un taux de croissance du PIB à 1,1% dès 2012, puis 2,1 en 2013 et 2014… Pour le FMI, la dette grecque est même encore « soutenable » !