J'ai beaucoup de retard, et il est plus que temps de parler du livre de Jacques Thomet, puisque l’omerta règne dans les médias commerciaux. « Retour à Outreau, contre enquête sur une manipulation pédocriminelle » est sorti le 6 mars et on doit bien constater que mes confrères, si prompts à crier avec la meute sur les enfants victimes, ont décidé cette fois de ne pas informer leurs lecteurs.
Et pourtant, ils devraient.
Durand Souffland, qui bosse au Figaro et qui règne sur les journalistes judiciaires, n’a même pas voulu lire ce livre alors qu’il se vante d’avoir couvert honnêtement les débats à Outreau, durant les deux procès qui ont finalement vu un acquittement quasi général des accusés. On peut ajouter que Stéphane Durand Souffland a été le co auteur du livre d'Eric Dupont Moretti, "Bête noire", Dupont Moretti qui était justement l'avocat de celle qu'on a appelée "la boulangère" dans l'affaire Outreau.
Parce qu’on apprend beaucoup de choses, en lisant ces 334 pages, et finalement la question survient, éclatante : la vérité Judiciaire n’est pas synonyme de « vérité ».
Et à Outreau, le jeu des avocats des accusés n’a jamais été de faire éclater la vérité, bien au contraire : toutes les méthodes possibles ont été utilisées afin de museler les enfants, de les impressionner et de nier la réalité d’un dossier qui était solide, et d’autant plus qu’il a été mené a minima.
Car, il n’y a pas que les 12 enfants victimes à avoir été mêlés à ce dossier[1], mais près d’une soixantaine d’enfants. Quant aux adultes, qui peut croire que les quatre personnes jugées coupables en appel, toutes sous transfusions des aides sociales, ont pu avoir l’argent qui justifie leur condamnation pour proxénétisme d’enfant ?
Qui avait l’argent ? L’histoire ne le dit pas. Qui étaient les autres clients ? Là, on a quelques pistes.
Ce médecin, marié à une infirmière, dénoncé par plusieurs enfants et à plusieurs reprises ? L’assistante sociale ? L’huissier ? Le curé ?
Jacques Thomet note par exemple que parmi les acquittés, certains sont cités comme des violeurs plus souvent que certains coupables, et par de plus nombreuses victimes. 24 adultes ont été sérieusement mis en cause, mais très peu ont été envoyés en préventive, pour que quatre personnes, celles qui ont avoué, prennent quelques années de prison.
Et puis il a ces autres affaires Outreau, qui impliquent certains des protagonistes de l’affaire médiatique qu’on a suivies, et qu’on pourrait appeler Outreau bis et Outreau Ter. On appelle ça saucissonner une affaire, en séparant les dossiers. Ce qui empêche d’avoir une vision globale des choses, et dans le cas de l’affaire Dutroux, on a vu que les dossiers bis ont été enterrés les uns après les autres, dont celui sur le réseau pédophile[2].
Pourquoi ces dossiers bis et ter ont-il été réduits à leur portion congrue avant de simplement passer à la trappe, alors que des enfants ont dénoncé des viols et attouchements systématiques, et que parmi les mis en cause, on retrouvait deux des acquittés ?
Foire d’empoigne
On comprend aussi que cette instruction aurait nécessité des moyens bien plus importants que ceux qui lui ont été donnés. La plus flagrante des erreurs ayant certainement été d’avoir installé les enfants dans le box des accusés lors des audiences, pendant que les accusés discutaient tranquillement dans la salle, assis avec les journalistes et leurs avocats.
Deux avocats pour 17 enfants, 18 avocats pour 17 adultes, voilà une autre illustration du déséquilibre des forces. Comment occuper l’espace médiatique phagocyté par des Dupont Moretti, Berton, Lejeune & Co ? Les services sociaux étaient tenus au secret, de même que les experts. Et les deux avocats des enfants n’ont pas cherché à prendre la parole, ni le parquet.
Jacques Thomet ne cesse de souligner le manque de respect des enfants, qui a marqué l’entièreté des procès. Des avocats qui traitent les enfants de menteurs, un avocat général qui se moque ouvertement d’eux, des accusés hargneux… Plusieurs témoins, dont l’experte qui a rencontré la plupart des enfants, Marie-Christine Gryson, ont dénoncé les cris, les déclarations intempestives, les allées et venues, et ont décrit des scènes qui relèvent davantage du café du commerce que d’une cour d’assises.
Depuis cette affaire, à Outreau, « plus aucune affaire de pédophilie n’aboutit devant les tribunaux », constatait devant l’auteur quelqu’un qui défend les enfants. C’est cela, le réel constat d’Outreau. Du Var au Nord de la France, de Brest à Strasbourg, les petites victimes sont bafouées par la justice, leur parole est très souvent ignorée.
Avec plus de moyens, on aurait peut-être pu enquêter sur ces cinq meurtres d’enfants dénoncés par les victimes, et même pour l’un d’eux, par certains des accusés. On aurait pu regarder du côté de la Belgique, et de cette ferme où des partouzes pédophiles avaient lieu, en présence de moult personnes venues d’Outreau.
On aurait peut être aussi compris ce qu’il en était de toutes ces transactions financières, dans tous les sens. On aurait fait davantage d’analyses sur les objets saisis, type téléphones, disques durs, boite de godemichets, caisses de vidéos, comme celle que l’une des acquittées entreposait chez son frère… On aurait pu faire davantage d’écoutes exploitables, traiter les enfants un peu mieux lorsqu’on leur demandait de passer à la question…
Cette enquête rigoureuse dépeint une toute autre affaire que celle qu’on a connue, qu’on nous a vendue. A lire, car il s’agit d’une enquête salvatrice pour ce qu’il nous reste de démocratie.
[1] Au terme du procès en appel, 12 enfants ont été reconnus victimes, mais ils étaient 18 à l’issue du premier procès, à St Omer. Et 15 personnes étaient jugées coupables.
[2] Lors de l’affaire Dutroux, en Belgique, la Justice a choisi de juger dans des procès séparés les enlèvements, le trafic de voitures, et les connexions pédophiles et affairistes de Nihoul, l’un des condamnés. Au final, il manquait évidemment des pans entiers du dossier au moment où les jurés ont du se prononcer sur la culpabilité des mis en cause, notamment celle du dénommé Nihoul.
L'affaire Dutroux auparavant avait déjà exposé ces méthodes qui ont voulu faire croire que Dutroux n'était qu'un prédateur isolé.Des journalistes bien informés ont prouvé le contraire avec des témoignages concordants.Le juge Connerotte désaisi est un des signes les plus inquiétants dans cette affaire.Les citoyens ont bien compris et se sont révoltés ce qui a donné la marche blanche évidemment méprisée par les étouffeurs professionnels.
Les écrits de Ceri, Jacques Thomet et SErge Garde ainsi que ceux qui ont étudié les étouffements des affaires sensibles doivent servir à la reconstruction d'une vraie justice où la parole des victimes et celle de ceux qui les défendent auront une juste place.
Aujourd'hui le système n'est pas crédible .Il n'en reste pas moins que certains magistrats appliquent la loi comme elle doit l'être.
Dix ans après l'affaire Casa Pia, au Portugal, voit certains agresseurs condamnés et emprisonnés.Cette affaire avait dércédibilisé toutes les institutions portugaises où la loi du silence avait régné pendant des décennies au détriment de nombreux enfants violés et prostitués.Des notables étaient impliqués d'où les étouffements systématiques.
malgré toutes ces preuves, nos indécrottables négationnistes continuent à dire que "les réseaux n'existent pas!"