Screenshot_122Dans trois semaines, le procès de Daniel Legrand à Rennes va démarrer. On remarque, depuis environ deux semaines, que des émissions de radio, des articles commencent à sortir. La grosse charge a commencé avec une interview de Daniel Legrand qui disait "ne pas comprendre" pourquoi ce procès devait se tenir, et la pression va s'intensifier jusqu'à ce qu'on subisse plusieurs articles par jour durant le procès.

 

Avant de revenir sur quelques uns de ces articles, émissions et reportages la plupart du temps à charge contre les victimes, parlons un peu de stratégie.

Lors de deux autres procès sur l'affaire d'Outreau, les avocats de la défense ont mené une stratégie commune, comme l'ont expliqué plusieurs intervenants de l'affaire devant la commission parlementaire sur Outreau. Ils étaient nombreux, et ont pu phagocyter 90% du temps de parole durant les audiences. or il faut savoir que les jurés n'ont pas le dossier. Ils n'ont pas lu les auditions des enfants, des accusés, les rapports d'enquête, les certificats médicaux, n'ont vu aucun des dessins des enfants. Pour juger, ils ne peuvent se baser que sur ce qui est dit à l'audience.

Les deux avocats représentant les enfants ne se sont pas exprimés dans les médias, ni le parquet qui est là pour assurer les poursuites. Les enfants, eux, étaient mineurs, et les experts étaient tenus au secret professionnel. Si bien que l'ensemble de l'espace médiatique a été occupé par le clan de la défense.

Il semble qu'on va nous resservir la même stratégie, d'autant que certains des avocats de Daniel Legrand ont appelé l'ensemble des adultes entendus dans le dossier à venir s'exprimer à la barre (on a hâte d'écouter les Lavier, d'ailleurs), et ils en sont capables puisqu'au procès en première instance, pas moins de 150 témoins ont été appelés à la barre, deux jours avant le début du procès, par les avocats de la défense.


Screenshot_153> 15 avril: Acquitté d'Outreau, il sera jugé une troisième fois : "Je ne comprends pas"

Cet article anonyme du Figaro, que Stéphane Durand Soufflant dit ne pas avoir écrit, est très révélateur du discours habituel sur Outreau, celui qui ne relate que le point de vue des acquittés et oublie systématiquement celui des 12 enfants finalement reconnus victimes dans cette affaire.

Mais il est vrai que parler de ces enfants est aujourd'hui considéré comme un outrage fait aux acquittés. La blague.

L'auteur anonyme nous dit dès l'introduction que Legrand sera "le seul" des acquittés "à être jugé une troisième fois", sous-entendant qu'il s'agirait "des mêmes faits".

Or Legrand sera jugé pour des faits qu'on le soupçonne d'avoir commis entre ses 15 et ses 18 ans, quand il était mineur. Tous les autres acquittés étaient majeurs, et n'ont donc pas à être jugés pour faits qu'il auraient commis quand ils étaient mineurs.

L'article commence comme ça: "Outreau, saison trois." Genre on est blasé. Genre "on connaît déjà le scénario". Genre, tout ça n'est vraiment pas bien grave, pas de quoi fouetter un chat ni un Legrand. Ensuite, ils 'agit encore une fois de pluerer avec Legrand et de décrédibiliser le dossier à charge.

Côté pathos, on est servi: on nous parle du "désarroi" de Legrand, du "cauchemar [qui] continue", on évoque "un homme dévasté", qui "n‘a jamais réussi à se reconstruire", qui est "retourné vivre chez sa mère après une séparation" et qui aujourd'hui "se sent bien seul", d'ailleurs ses journées semblent bien monotones, un peu à la Cosette: "il ne travaille pas et reste toute la journée chez sa mère, entre télévision et internet", nous dit l'article.

L'auteur anonyme rappelle que l'affaire "avait jeté l'opprobe sur la justice française", oubliant de rappeler qu'aucune faute n'a pu être reprochée au juge Burgaud ni aux autres magistrats dans cette affaire, que ce soit par la commission d'enquête parlementaire ou par l'Inspection Générale des Services Judiciaires.

Daniel Legrand répète le même discours que les autres, à savoir qu'il a "été innocenté", et déclare qu''on le "rejuge sur les mêmes faits". Comme on vient de le voir, c'est faux.

L'association Innocence en Danger et un syndicat de magistrats sont qualifiés de "jusquauboutistes d'Outreau", une expression chère à l'ami de Moretti, parce qu'ils "ont insisté" pour que ce procès ait finalement lieu. En effet, comme l'avait expliqué Dupont Moretti à l'époque, un procureur lui avait "assuré" que ce procès ne serait jamais audiencé, au plus grand mépris des victimes. 

 

Screenshot_185> 30 avril: France Inter, "Outreau, la fabrique d'un mensonge".

On était déjà mal partis car le seul invité de cette émission était Dominique Wiel, un acquitté qui est quand-même le seul à écrire que les quatre coupables d'Outreau (qui ont par ailleurs avoué les faits) sont en réalité des innocents, et que les enfants Delay n'ont jamais été violés. Les preuves médicales, les aveux des accusés n'y font rien: pour Dominique Wiel, qui s'est occupé de former les journalistes de France 3, les enfants reconnus victimes ne sont pas victimes et la justice s'est trompée. On peut lui demander alors pourquoi la justice ne serait pas trompée dans l'autre sens, après tout?

Le reportage d'introduction nous parle de ces "treize innocents qui ont vécu un calvaire", de "détention provisoire pour rien", et puis il est vite question de "comprendre avec du recul la fabrication du mensonge des adultes et des enfants". Il est clair que pour démontrer que les acquittés sont innocents, il est nécessaire de faire croire que les enfants ont menti. Pas de bol: douze d'entre eux ont été reconnus comme victimes.

On interviewe même Florence Aubenas, qui nous raconte l'histoire de l'amalgame entre un "Dany le grand" et Daniel Legrand, une histoire qui ne tient pas debout mais qui constitue l'argument pivot de la défense de Legrand. Or, l'enfant qui a désigné ce Dany legrand le cite bien dans le dossier. En tout cas, c'est avec cet argument (dont Roselyne Godars, autre acquittée, s'est soudain rappelée juste avant le procès en appel) que la défense a fait repousser le procès en appel, afin de mener des investigations au sujet d'un éventuel autre "Dany" qui serait passé par Outreau à l'époque.

Cela les arrangerait bien s'il n'y avait que cet élément à charge contre un Daniel Legrand qui a tout de même avoué à plusieurs reprises avoir assisté au meurtre d'une petite fille. Mais, ce n'est pas le cas.

Screenshot_2L'invité Wiel, premier révisionniste d'Outreau, pour reprendre l'expression chère à Me Dupond-Moretti, reprend le discours habituel. Mais il dit aussi que "On n'a jamais su ce qu'il s'était passé, on ne le saura peut-être jamais. L'essentiel, c'était pas de connaître la vérité, l'essentiel c'était de faire croire à une justice. La vérité sur l'affaire Outreau, on ne la saura peut-être jamais.". On 'n'aurait pas dit mieux...

Pour Dominique Wiel, "C'est une série d'émotions qui va conduire à cette affaire, cette catastrophe".  Là aussi, c'est faux, et le dossier est là pour le prouver. Si un jury populaire l'a condamné en première instance, ce n'est quand-même pas uniquement à cause de "l'émotion". Ce n'est pas non plus "l'émotion" qui a fait que plus de cinquante enfants ont été entendus dans cette histoire, sinon on serait dans un pays de dingues. 

Il nous ressort aussi l'histoire du complot des enfants et des assistantes maternelles, qui auraient monté toute l'affaire rien que pour faire les intéressants, et aussi à cause de ces "émotions", donc. Pourtant, des expertises médicales et psychologiques ont largement confirmé les dires des enfants. 

 

Screenshot_177> 7 mai: Envoyé Spécial sur "Daniel Legrand, prisonnier d'Outreau".

Avec cette émission, on a eu droit à la grosse cavalerie pour faire pleurer dans les chaumières sur le sort de Daniel Legrand. Il faut dire qu'il apparaît dans un très sale état, avec "des piqûres dans les fesses" et moult comprimés à prendre, afin de ne plus avoir ses "hallucinations". Car oui, en ce moment Daniel Legrand dit voir "le mal partout".

Cette émission, d'une complaisance rare avec l'accusé, nous le présente comme la grande victime du procès de Rennes. Pas un mot pour les vraies victimes, les enfants, 12 au total, qui eux ont vraiment souffert et ont été reconnus en tant que victimes au procès en appel. On n'a même pas pensé à les évoquer. Les victimes sont totalement absentes de ce reportage dont le parti pris est une insulte aux victimes, justement.

Ce reportage, qui mise uniquement sur le côté émotionnel, annihilie d'avance tout esprit critique chez les non avertis, ceux qui n'ont pour comprendre l'affaire d'Outreau que les vociférations et sous-entendus grotesques d'un certain 'clan des acquittés', comme on pourrait les appeler.

Par contre, on a droit encore une fois au couplet de Me Delarue, l'un des six avocats (oui, six!) qui défendront "le petit" Legrand à Rennes. Me Julien Delarue répète en effet les mêmes mots-clés depuis le début, mais depuis l'émission de RTL le 5 mai, l'équipe des avocats de Legrand a ajouté une nouvelle notion: "le petit" Legrand, qui dit lui même "je suis un bon gamin" (de 34 ans quand-même). Eric Dupond Moretti a évoqué "ce gosse", Delarue "le petit legrand", bref on l'aura compris: on veut nous faire passer Legrand pour l'adolescent qu'il était il y a 15 ans, au moment des faits qui lui sont reprochés.

C'est très intéressant, car c'est justement de cette période dont vont aussi parler les victimes, et il serait bon que Legrand replonge dans sa mémoire (il peut s'aider de ses aveux), pour raconter sa version des choses. Et en tant que mineur, il faut d'abord estimer que s'il est reconnu coupable, il serait d'abord une victime. Que Daniel Legrand aille en prison ou pas, ce n'est pas important. Ce qui compte c'est de pouvoir s'approcher de la vérité, celle des victimes.

Screenshot_181Il se trouve que dans ce reportage d'Envoyé Spécial, on nous répète exactement le même discours que les avocats de Legrand, à savoir que tout le "fiasco" (qui n'en a été un que pour les vraies victimes) d'Outreau est du "Myriam Badaoui [qui] joue avec le destin des accusés" et "au juge [qui] fait fausse route". Mais si ce nouveau survient, c'est de la faute à une association, et à un syndicat de magistrats. Pas du tout la faute du procureur qui avait "assuré" à Dupont Mortti que ce procès n'aurait jamais lieu alors qu'il aurait pu, et du l'inscrire à l'agenda dans la foulée des autres procès.

On se souvient aussi de l'ami de Me Dupont-Moretti, Stéphane Durand Souffland le chroniqueur judiciaire du Figaro, qui dénonçait des "militants jusqu'auboutistes de la cause des enfants", mais aussi "une association, "Innocence en danger", coproductrice d'un documentaire intitulé de manière sibylline "Outreau, l'autre vérité" et relayée par un syndicat ultra minoritaire, FO-Magistrats", comme étant les responsables du procès de Rennes.

Cela, ça s'appelle de la théorie du complot. Ce sont d'ailleurs les mêmes qui tentent de faire croire qu'un tas d'enfants (Plus de 50 ont été entendus durant la procédure, dont une partie ne se connaissait pas) ont monté une cabale avec leurs assistantes maternelles, le tout repris par Badaoui qui était incarcérée, et repris tel quel par un juge paranoïaque et incompétent, à savoir le juge d'instruction (qui a été l'un des nombreux magistrats à intervenir sur ce dossier et a été nommé juge anti terroriste juste après cette affaire, ce qui n'est pas vraiment une sanction).

Aujourd'hui, les coupables seraient donc des "jusqu'auboutistes de la cause des enfants". On voit d'ailleurs à quel point on écoute trop les enfants, comme le montre le scandale actuel dans l'Education nationale, soit dit en passant. Ces "jusqu'auboutistes" (expression qu'on doit à Durand Soufflant, reprise par un auteur anonyme du Figaro puis par le journaliste belge Emmanuel Huet dans un article particulièrement consternant sorti le 8 mai, seraient donc des "militants", Innocence en Danger et le syndicat FO Magistrature.

Screenshot_164Sauf qu'il faudrait que ces gens soient particulièrement puissants pour faire ouvrir tout seuls un procès qui n'aurait pas passé le filtre de l'instruction. En gros: si ce procès a lieu, c'est d'une part parce que le dossier contient assez d'éléments pour que l'affaire soit renvoyée au tribunal, et ensuite parce qu'il traine dans les placards depuis 10 ans.

Ce serait quand-même inquiétant, dans un "Etat de droit" comme certains le revendiquent, de ne pas respecter le droit des victimes à obtenir justice, surtout quand on a reconnu que le dossier était suffisant pour renvoyer l'accusé devant un tribunal.

Mais, c'est tellement plus simple de trouver des responsables, de viser quelques organismes ou citoyens. Ca évite de répondre sur le fond du dossier. Quoi qu'en général ce n'est pas cela qui les dérange: il suffit de mentir. Ce qui est devenu une habitude dans le fan club des acquittés (ici un très bon exemple, avec les mensonges de Florence Aubenas dans son livre à charge contre les victimes, la Méprise).

Quand on a entendu Me Dupond-Moretti dire sur RTL que Legrand "n'a été mis en cause par personne, je dis bien par personne", nombreux ont été ceux qui ont failli s'étouffer. J'ai moi-même repris le dossier et j'ai compté six personnes qui l'identifient et l'accusent clairement d'avoir participé aux faits, dont trois adultes. Pas mal, pour un type qui a dit n'avoir jamais mis les pieds à Outreau. Enfin, bref. Soit Me Dupont-Moretti n'a pas lu le dossier, ce qui serait inquiétant, soit il ment volontairement. Ce qui est possible, puisqu'il revendique dans sa bio le droit de mentir pour ses clients [1].

Pour ceux qui n'ont pas peur du pathos lourdingue, voici le portrait de Legrand par France 2:

 

 

Interrogations

Screenshot_186A voir autant d'énergie déployée pour défendre Daniel Legrand, que tous disent "innocent", on se doute que l'enjeu est important pour le fan club des acquittés. Pourquoi six avocats (bien que Dupont-Moretti en avait annoncé dix il ya un an)? Et qui va payer leurs frais, pour ces trois semaines passées à Rennes? Dupond-Moretti nous dit sur RTL que ces avocats "ne font pas ça pour l'argent", mais alors c'est vraiment un beau geste, car le dossier est énorme et trois semaines de bloquées en mai, ça compte pour un avocat.

On nous annonce aussi que 50 personnes, qu'ils appellent les "accusés chanceux", ceux qui ont été entendus durant la procédure mais n'ont pas été renvoyés au tribunal, ainsi que les acquittés, sont citées à la barre par  la défense de Legrand. Le coût de défilé est impressionnant, puisqu'il faut autour de 1.000 euros pour faire venir un seul témoin, aux frais de la partie qui les sollicite. Chacun doit être convoqué par huissier et recevoir une indemnité pour ses frais de déplacement, en l'occurrence depuis Outreau pour la plupart.

Pourquoi autant d'énergie, pourquoi ces mensonges pour défendre Daniel Legrand puisque, selon eux, il est innocent aussi pour les faits qu'on lui reproche d'avoir commis alors qu'il était mineur. 

La stratégie de la défense est très claire: il ne s'est rien passé, et on se demande pourquoi Legrand se retrouve à ce procès. C'est la même depuis toujours, mais peut-être qu'aujourd'hui, Daniel Legrand a besoin d'autre chose. On peut en tout cas se le demander en voyant dans quel gouffre psychologique il se trouve aujourd'hui.

 

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Contrairement à ce que disent les avocats de Daniel Legrand, il ne s'agit pas de "refaire" les procès d'Outreau. Cela, ce sont les avocats de Legrand qui s'en chargent, en rappelant leurs 50 témoins, en reparlant sans cesse du mythique "fiasco d'Outreau", en nous parlant des "mêmes faits" pour lesquels ils erait "à nouveau" jugé... Non, ce que veulent les parties civiles à ce procès, c'est de pouvoir parler et être entendues. Pas comme ce fut le cas lors des deux procès précédents, qui ont davantage relevé du cirque que d'une audience dans un Etat de droit. Mais il seble que même cela, ce soit déjà un outrage, une "monstruosité", pour certains.

 

Et voici un vrai documentaire sur cette histoire, bien que plusieurs défenseurs des acquittés aient refusé de répondre aux questions du réalisateur:

 


 

[1]  "Je revendique le droit des accusés au mensonge" p. 71 du livre d' Eric Dupond-Moretti "Bête noire". Puis, p. 88: "Le ministère public a une obligation de vérité absolue, tandis que l'avocat de la défense doit faire triompher une vérité relative -celle de son client" lequel a donc le droit de mentir!