L’affaire de cette ado utilisée comme objet sexuel par des pompiers de Paris issus de plusieurs casernes, affaire requalifiée en "atteinte sexuelle" par le parquet, et qui risque donc d’être renvoyée en correctionnelle, fait effet boule de neige. Pourquoi ? Parce que le décalage est abyssal entre la pratique judiciaire et la réalité sociétale. Parce que ce déni des violences sexuelles sur les mineurs, au-delà d’être indécent car produit par la "justice", entraîne surtout un véritable danger pour la société tout entière.
Depuis quelque temps, les pompiers de Paris sont régulièrement cités comme abuseurs par des femmes de tous âges. Plusieurs affaires de violences sexuelles sont aujourd'hui en cours, même s'il est certain que la justice manque d'empressement pour les amener devant les juges. Parfois ce sont de jeunes collègues qu'ils auraient donc agressées (le conditionnel est de mise même si ona tendance à accorder une grande crédibilité à certaines victimes et très peu aux mis en cause), parfois il s'agit carrément de mineures.
En l'occurrence, nous allons revenir sur les viols répétés qu'une jeune femme accuse plusieurs pompiers d'avoir commis alors qu'elle était mineure. Et dans ce dossier, le parquet utilise une bien étrange logique pour nier la connaissance qu'avaient les pompiers accusés de l'âge de la victime, et de sa vulnérabilité.
Il demande donc le renvoi de trois individus en correctionnelle pour "atteinte sexuelle", ce qui suppose un "consentement" de la victime.
Quid de la notion de contrainte ?
Le réquisitoire du parquet a été largement diffusé dans la presse à la mi-octobre, et on pouvait donc lire le point de vue du procureur sur ce dossier. Un procureur, Vincent Lesclous censé représenter les intérêts de la société, qui a considéré qu’une mineure de 13 ans, sous un traitement médical très lourd qui la mettait littéralement à l’état de "légume", était "consentante" à des "rapports sexuels" (admis par 17 pompiers qui ne sont même pas renvoyés devant la "justice"), parfois avec trois types en même temps, "rapports sexuels" relevant davantage du porno trash que du flirt d’adolescente.
L’adolescente a porté plainte en 2010 contre une vingtaine de pompiers pour des faits commis entre 2008 et 2010, alors qu’elle avait entre 13 et 15 ans. En 2012, il était bien question de 17 pompiers qui auraient abusé de cette mineure (entendus comme simples té moins), en plus des trois qui ont été mis en examen.
Lesdits pompiers avaient, nous dit-on, "fiché" cette gamine comme "nympho", et se refilaient son numéro. Ils étaient capables de venir à plusieurs de l’appeler, de lui demander divers actes sexuels n’importe où, et de se barrer en la laissant là, complètement stone, au bout de 10 minutes.
Mais en juin, le juge d'instruction "envoie ses conclusions au parquet de Versailles : sur la vingtaine de mis en cause, selon lui, seuls deux méritent des poursuites judiciaires pour “viols sur mineure”. Entre temps d’ailleurs, ces deux pompiers ont été radiés ou suspendus par leur hiérarchie", selon Le Nouveau Détective.
Et en octobre, on découvre que pour le procureur, "le défaut de consentement" de cette victime est "insuffisamment caractérisé". Or la question ne devrait même pas se poser, car en effet :
- La victime avait 13 ans au début des faits, et les pompiers le savaient puisqu’ils intervenaient quotidiennement auprès d’elle (il est question de quasiment une intervention par jour pendant deux ans).
- Les pompiers concernés étant Sapeur-Pompier de Paris donc militaires, étaient des personnes ayant autorité sur cette jeune mineure. Non seulement leur position leur conférait autorité sur elle mais annulait également la majorité sexuelle à 15 ans.
- De plus, la victime suivait un traitement médical très lourd qui l’empêchait de prendre du recul ou même d’avoir la moindre volonté. une grande partie des pompiers le saveient puisqu'ils intervenaient régulièrement pour transporter l'adolescente (elle ne suit fort heureusement plus ce traitement aujourd’hui).
L’expertise psychiatrique l’avait reconnue à l’époque dans un état de grande vulnérabilité et donc de faiblesse.
Le parquet explique que les déclarations de la mineure ont "varié". "Avec un pompier, elle entretiendra une relation suivie entre février et novembre 2009. Après avoir évoqué dans les premiers temps une "amitié sexuelle", l’adolescente évoluera peu à peu pour dénoncer des rapports non consentis", lisait-on dans Le Dauphiné du 22 octobre 2018, reprenant fidèlement l'argumentaire du parquet.
Pour illustrer la manière dont se passaient les "rapports sexuels", et aussi le traitement judiciaire de l’affaire, le paragraphe suivant est révélateur : "La plupart ne sont pas poursuivis, à l’exception de quatre pompiers soupçonnés de non-assistance à personne en danger. Il leur est reproché d’avoir abandonné l’adolescente en pleine crise de spasmophilie, après que deux d’entre eux ont eu une relation sexuelle simultanée avec elle sur un parking, sans connaître son âge. Un non-lieu a été requis à leur encontre".
Pour la petite, tout a commencé après une crise de spasmophilie à l’école, quand elle avait 13 ans et demi. Un pompier qui vient la chercher récupère son numéro à la suite de l’intervention, et la contacte. D’autres rendez-vous suivent, avec d’autres pompiers, parfois à deux ou trois.
Un matin un pompier, habillé en tenue de pompier et que la famille connaissait, à force de les voir intervenir au domicile, vient la chercher chez elle, soi-disant pour faire un tour dans un parc.
Mais au lieu de cela, il l’emmène chez lui où se trouvent déjà deux autres pompiers. Ils menacent de la frapper et exigent des actes sexuels. Elle ne voit aucune issue à part céder, évidemment (d'ailleurs on s'interroge: qu'aurait fait le procureur dans la même situation, déjà en tant qu'adulte, mais surtout en tant que mineure vulnérable?).
La victime décrit plusieurs viols en réunion commis par ces pompiers durant la période des faits, ainsi que de nombreux actes sous une forme ou une autre de contrainte. Ces faits sont d'un glaque digne des films pornos les plus vomitifs.
On comprend donc très bien pourquoi ses délcarations ont "varié", puisque lorsqu'elle a porté plainte, elle était encore sous le choc et sous traitement. C'est seulement progressivement qu'elle a pu prendre le recul nécessaire, remettre les choses à peu près dans l'ordre, et comprendre ce qu'il lui était arrivé.
La procédure judiciaire, ou le supplice chinois de la patriarchie
Au fil de ces deux ans et demi de viols à répétition, la victime a sombré dans la dépression, et son état n’a fait qu’empirer. Preuve que ces "relations" ont été loin d’être épanouissantes. Elle était très bonne élève (elle avait même sauté une classe), ses notes se sont mises à chuter, elle finit par être déscolarisée, par développer une phobie sociale, et ne sort plus de chez elle.
"Plus y avait des viols plus je faisais des crises d’angoisse et ils étaient obligés de ré-intervenir, ce qui fait que mon état de santé était parfaitement connu", a-t-elle expliqué. C'est seulement à 15 ans, à la suite d'un nouveau viol collectif, que l’adolescente parvient enfin à parler à sa mère. Elle l’emmène immédiatement porter plainte.
Après la plainte, la police a mis six mois à entendre la victime. Puis c’est Paul Bensussan qui a été chargé de son expertise. Le tristement célèbre psychiatre, qui avait déclaré lors de l'audience du procès en appel d’Outreau que les enfants étaient des menteurs. Ceci, sans les avoir expertisés et alors que 12 ont été reconnus victimes d’abus sexuels variés, et certains de proxénétisme. Sans surprise, il a rendu un rapport très favorable aux pompiers qui a servi de base au réquisitoire du procureur, où les faits sont requalifiés en "atteinte sexuelle".
Paul Bensussan n’est pas pédopsychiatre, ni spécialiste en victimologie, et il est critiqué jusque dans les prétoires Suisses. Pourtant, le juge d’instruction a refusé la contre-expertise demandée par la famille.
Il faut savoir que la Cour Européenne des Droits de l’Homme considère que les parties prenantes à la procédure, y compris donc la victime, doit pouvoir commenter l’expertise pour compléter l’information sur laquelle va se baser le juge pour prendre sa décision. Cela est indispensable pour assurer le droit à un procès équitable. Mais en france cela reste un voeu pieu.
La procédure est donc un nouveau supplice, la parole de la victime étant systématiquement et sans cesse remise en question.
TEMOIGNAGE RMC - Julie a déposé plainte il y a huit ans. Le parquet a renvoyé trois pompiers devant le juge sans pour autant retenir la qualification de " viol ".
https://rmc.bfmtv.com
Dans cette affaire, alors que 17 pompiers qui ont reconnu des rapports sexuels quand la victime avait entre 13 et 15 ans, et que depuis 8 ans, la seule agression retenue par la procédure était qualifiée de viol en réunion sur mineur de moins de quinze ans, le procureur a non seulement requalifié le viol en réunion en "atteinte sexuelle" mais n’a pas qualifié les nombreuses "atteintes sexuelles" alors qu’elles sont reconnues et établies dans le dossier de la procédure.
On lit sur le site de BFM que "Pour son avocat Jean Tamalet, la "lecture du parquet est offensante" pour la victime. "Les pompiers ont un ascendant sur Julie à l'époque, ce qui est un des éléments constitutifs de la contrainte. Sa vulnérabilité est avérée, compte tenu des médicaments qu'elle prend à haute dose. Ca ne peut pas être de la correctionnelle".
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Comment peut-on, après cela, dire à une victime de porter plainte contre celui qui l’a violée ? Aujourd’hui nous sommes obligés de les prévenir qu’il y a très peu de chances que sa plainte débouche sur un procès pour viol. 85 % des plaintes pour viol qui sont instruites finissent classées sans suite ou par des non-lieux. Ensuite, nous devons leur dire qu’elles seront mises sur le grill, que leur parole sera remise en cause par la plupart des intervenants, experts compris le plus souvent, et que psychologiquement ce sera très difficile. Mais si en plus, au bout de 9 ans de procédure, on requalifie des viols en "atteintes sexuelles", alors cela s'assimile à un coup de grâce pour les victimes.
Bref, aucun "renforcement de la protection des mineurs " en vue à ce jour, malgré les salves de propagande de Schiappa tout l'été, qui disaient l'inverse.
Une pétition réclamant que le viol de mineur soit jugé comme un crime est en ligne, et a recueilli un peu plus de 120.000 signatures.
L'association Enfance et Partage, qui suit cette affaire depuis un moment, a diffusé un communiqué qui n'a pas été repris avec autant d'entrain que le réquisitoire du parquet. On espère que la proximité des médias avec les informateurs que représentent les pompiers n'a rien à voir avec cette forme d'omerta dans une affaire pourtant fort médiatisée, de même que les relations de dépendance avec le parquet.