Big Brother et fichage génétique
Paris manque de caméras de surveillance, l’Europe se met d’accord pour s’échanger les casiers judiciaires, et le nombre de fichiers génétiques augmente de manière exponentielle... Chronique d’une société policière en devenir...
Il y a comme une ambiance Big Brother en France ces derniers temps...
Le préfet de police de Paris, Michel Gaudin, estime que Paris manque de caméras de surveillance et doit « rattraper son retard »... C’est vrai, il n’y a que 30 800 caméras (publiques et privées), c’est deux fois moins qu’à Londres, paraît-il.
Selon Le Figaro, les 1 000 caméras qui doivent être installées très prochainement coûteront 44 millions d’euros et les services de « la Place Beauvau évaluent le tarif d’un système moderne qui numérise, transporte et enregistre l’image à 25 000, voire 35 000 euros d’investissement par caméra. Un coût auquel il faut ajouter 10 % par an pour le fonctionnement et la maintenance ».
Michèle Alliot Marie, notre ministre de l'Intérieur, expliquait dans Le Monde du 13 octobre : "La vidéosurveillance est une necessité face au terrorisme, et un atout contre l'insécurité. Je veux la développer. Je compte donc tripler le nombre de caméras en moins de trois ans" sur le territoire français. Aujourd'hui, il y a environ 340 000 caméras de vidéosurveillance autorisées dans le pays, nous en aurions donc 1 million en 2009.
A Londres, les caméras de surveillance sont installées depuis les attentats de l’IRA dans les années 70. En Grande-Bretagne, on compte aujourd’hui plus de quatre millions de caméras dans les lieux publics, et même si la population a été un peu réticente au début, les attentats terroristes ont été l’occasion pour le gouvernement de légitimer leur installation massive. A côté de cela, la Ligue des droits de l’homme de Toulon a mis le doigt sur une circulaire (texte purement administratif qui n’est soumis à aucun vote) du ministère de la Justice datée du 31 mai dernier, censée simplifier la gestion du FNAEG (le fichier national automatisé des empreintes génétiques), mis en place en 1998 après l’arrestation du tueur en série Guy Georges. Cette réforme est justifiée, selon ladite circulaire, par « un accroissement exponentiel du nombre d’analyses génétiques à réaliser sur des prélèvements biologiques recueillis sur des individus aux fins d’enregistrement au FNAEG ou aux fins de rapprochement avec les traces biologiques enregistrées dans ce fichier », et par les coûts (prise « en considération [du] coût humain et financier engendré par la constitution et l’envoi des rapports d’analyse »).
En effet, à l’origine les fichages génétiques étaient destinés uniquement à recenser les personnes coupables de crimes sexuels. Mais depuis les lois n° 2001-1062 sur la sécurité quotidienne de 2001, et n° 2003-239 du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure, presque tous les crimes et délits peuvent entraîner l’inscription au FNAEG. Avec ces lois, ce sont d’abord les atteintes volontaires à la vie de la personne, les actes de terrorisme et les atteintes aux biens accompagnées de violence qui mènent au fichage génétique (de plus la loi prévoit six mois de prison et au moins 7 500 euros d’amende en cas de refus de se faire ficher), puis avec la loi de mars 2003, ce sont de simples infractions qui entrent dans ce cadre, comme le vol, les graffitis, l’arrachage d’OGM... Enfin, la loi Perben II de 2004 impose à toutes les personnes ayant été condamnées à plus de dix ans de prison de se plier au fichage génétique. Selon Le Monde, qui reprend les propos d’Olivier Joulin, membre du Syndicat de la magistrature, les trois-quarts des affaires traitées dans les tribunaux sont susceptibles d’occasionner un fichage génétique (on se rappelle de l’exemple de ces deux enfants de 8 et 11 ans que les gendarmes voulaient convoquer pour un fichage génétique, à la suite d’un vol de tamagotchi, ou des coupeurs d’OGM qu’on essaie systématiquement de ficher...). Finalement, les délits financiers et l’alcoolisme au volant sont presque les seuls types de délits qui ne sont pas susceptibles de faire ficher génétiquement leurs auteurs.
En quatre ans, le FNAEG est ainsi passé de moins de 6 000 profils génétiques recensés et étudiés, à presque 500 000 cette année. Cette circulaire, au nom de la « simplification », réduit les contrôles qui pèsent encore sur les fichiers génétiques :
- l’accès aux FNAEG est beaucoup plus large et beaucoup moins contrôlé, du fait de la « simplification » du serment fait par les personnes habilitées à analyser les empreintes génétiques ;
- une fois que quelqu’un est inscrit dans le FNAEG, il n’y a pas d’obligation de confirmer à celui qui a demandé le fichage que la personne est bien fichée ;
- les policiers qui demandent un fichage génétique n’auront plus à faire de rapport pour expliquer leur démarche. Il ne restera donc pas de trace des fichages génétiques effectués, hors du FNAEG lui-même.
Ainsi, un fichier créé à la base pour recenser les auteurs de crimes sexuels, qui avait une utilisation marginale au vu de l’ensemble des crimes et délits, est devenu la norme. Aujourd’hui, pour presque n’importe quelle infraction (excepté la fraude fiscale, les délits d’initiés, les abus de biens sociaux et tutti quanti, bien sûr), nous sommes susceptibles, même les enfants, de devoir nous plier à un prélèvement d’ADN si nous voulons éviter un séjour en prison... Le Syndicat de la magistrature a même dénoncé, dans un communiqué de presse du 22 août 2006, le fait que de simples suspects d’infractions soient soumis à ce fichage, et risquent des poursuites s’ils refusent.
Par ailleurs, au niveau européen, les lois « sécuritaires » sont en bonne voie... le 13 juin les ministres réunis à Luxembourg se sont mis d’accord pour une « interconnexion » des casiers judiciaires des vingt-sept Etats membres. Cela implique l’échange des fichiers génétiques ainsi que les empreintes digitales.
Mais rassurons-nous, c’est vrai que grâce au fichage génétique, les coupables de crimes aussi terribles que le vol du scooter (garé sans anti-vol) du fils de notre président ont pu être arrêtés...