Des pots de vins aux juges pour remplir les prisons
Un entrefilet paru ce matin dans La Libre Belgique m'a légèrement choquée, même si on a l'habitude des magouilles judiciaires, surtout aux Etats-Unis. De quoi s'agit-il? De deux juges qui ont touché des pots-de-vins par une entreprise qui "exploite" les prisons de jeunes (et des autres), afin de remplir lesdites prisons. Il s’agit de la pire dérive liée à la privatisation du système pénitentiaire qui puisse exister. C’est ni plus ni moins que du trafic d’êtres humains. Nous vivons une époque formidable. Deux juges de Pensylvanie, Michaël Cohalan et Mark Ciavarella (qui a présidé le tribunal pour enfant du comté de Luzerne pendant 12 ans), viennent donc de plaider coupables et ont quitté la Cour. Ils auraient touché 2,6 millions de dollars pour mettre en prison, durant quatre ans, de 2003 à 2007, des jeunes qui n’auraient jamais du recevoir une telle sanction pour les actes qui leur étaient reprochés. En échange des cet argent, nos deux juges ont facilité le placement de jeunes pseudos délinquants dans des centres gérés par PA Child Care et Western PA Child Care, via des procédures inventées ad hoc et très efficaces. Durant la période où ont officié les deux juges pourris, 5.000 gamins de 13 à 18 ans ont été « jugés » coupables par nos deux compères. Selon le Juvenile Law Center, plus de 2.000 ont été envoyés en prison. Et parfois, pour des motifs qui laissent vraiment perplexes, comme ce cas cité par l’Express d’un gamin qui a été mis en taule pendant 9 mois pour avoir volé un flacon d’épices de noix de muscade d’une valeur de 4$. No comment. Histoire de bien sombrer dans le glauque, une avocate du Juvenile Law Center expliquait en outre que « les jeunes étaient des cibles faciles. Beaucoup d'entre eux n'avaient même pas d'avocats et quand ils demandaient un avocat commis d'office, on leur disait qu'il faudrait attendre des semaines ». C’est sûr qu’il est plus facile de traiter de cette manière des gens plutôt pauvres et peu instruits que les bourgeois du coin. L’avocat de PA Child Care, Mark Sheppard, affirme quant à lui que son client a été victime d’extorsion de fond, et n’aurait jamais rien demandé aux deux juges. Ce qui, l’un dans l’autre, est possible aussi. Mais ce serait étonnant parce que les juges ont permis de passer un contrat pas du tout intéressant avec PA Child Care, d’un montant de 58 millions de dollars, et qu’ils auraient encore touché plus d’un million de dollars d’une entreprise de construction, Mericle Construction, pour l’extension de centres pénitentiaires dans le comté.
L’an passé, un groupe d’avocats de Philadelphie (The Juvenile Law Center) a porté plainte au sujet du traitement infligé par le tribunal à une centaine de jeunes du comté de Luzerne où opèrent nos deux magistrats, et ont demandé l’annulation des décisions de justice les concernant. Certains de ces jeunes n’avaient même pas pu avoir un avocat (et on ne le leur avait pas proposé non plus même s’ils y avaient droit), et d’autres avaient été sanctionnés de manière disproportionnée. Cette semaine, les avocats remettent ça et vont déposer des plaintes pour des dizaines de parents qui ont appris le pot-aux-roses.