Topo rapide de la réunion du Bilderberg en 1955
A force d'en parler, il est temps de voir concrètement de quoi parle le Bilderberg. Quelques uns de leurs rapports annuels sont sortis ces derniers temps, et on va regarder de plus près celui de la deuxième réunion de 1955, où il s'agissait de planter les bases de l'Europe. Où l'on voit le consensus règne, particulièrement en ce qui concerne l' "intégration" économique de l'Europe.
1955: l'intégration européenne
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1955. Ce rapport est celui de la troisième conférence: les premières s'étant tenues aux Pays-Bas en mai 1954, et à Barbizon en mars 1955.
Contexte: en 1953 on crée la CECA, mais en 1954 la CED (Communauté Européenne de Défense) est bloquée. Cette année-là, Rockefeller, le prince Bernhardt des Pays-Bas et quelques autres créent le Bilderberg, pour donner un coup de fouet à l'idée européenne. La guerre froide s'installe et est sous-jacente dans l'ensemble des discussions.
Enfin, on avance à pas de géant vers le traité de Rome de 1957, qui instaure la "Communauté Economique Européenne".
En septembre 1955, étaient présents pour la France des gens comme Antoine Pinay, Guy Mollet ou Maurice Faure (tous trois y sont retournés au moins en 1963 et en 1966), ou encore Denis de Rougemont pour la Belgique Paul Van Zeeland ou Paul-Henri Spaak, pour les Etats-Unis David Rockefeller, le co-fondateur de cette réunion, George Keennan, pour l'Allemagne Carlo Schmid, etc. Tous sont des grands fans de l'Europe dès le départ.
Dans le rapport, on explique d'entrée que le but des réunions est de "trouver le plus haut dénominateur commun de compréhension mutuelle entres les pays d'Europe de l'ouest et l'Amérique du nord et ainsi éliminer les causes de frictions". Pour ce faire, on réunit des "hommes d'expérience" de différents pays, ayant également des "qualités d'influence", et cela dans "une atmosphère de confiance mutuelle et d'amitié personnelle". On reconnaît là le jargon onusien et européaniste traditionnel.
On se défend quand-même de vouloir "construire des politiques" et, bien que tous ces gens soient invités parce qu'ils occupent certaines fonctions, on ajoute qu'ils parlent en leur nom personnel. Admettons, au moins pour l'instant.
Mais, il est quand-même frappant de voir le nombre de "consensus" dégagés dès le départ des "débats", un peu comme s'ils avaient tous répété avant.
La lutte contre la "propagande communiste"
A Barbizon, ainsi qu'à ce meeting de septembre, ces messieurs ont évoqué "la question de l'infiltration et de la propagande communistes", contre lesquels, semble-t-il, ils ont estimé qu'on n'avait pas assez lutté. On explique ensuite que le consensus a été réalisé précédemment au sujet de ce combat contre les idées communistes qui doit être mené en s'appuyant "sur la presse et les autres contacts avec l'opinion publique". Ensuite, on préconise que la politique européenne soit suffisamment souple pour ne pas braquer les russes."
Un peu plus loin, on explique que certains sont d'accord pour dire que l'OTAN ne peut pas s'occuper du côté "spirituel" de cette lutte, par conséquent ce sont aux pays membres de le faire.
L'OTAN
Encore une fois, le consensus fut large. Il fallait augmenter le caractère effectif du pacte de l'Atlantique Nord, maintenir et poursuivre les efforts militaires, renforcer la "Communauté atlantique" par "des opérations économiques, sociales et psychologiques communes".
"L'une des
fonctions du Groupe Bilderberg", nous dit-on, "doit être d'aider à faire
prendre conscience, via ses membres dans leurs différents pays, du fait
que l'OTAN a une mission qui est une mission de paix aussi bien que de
défense". On félicite d'ailleurs la reine Juliana des Pays Bas qui a
très bien défendu l'OTAN dans un discours récent au Parlement.
L'unité atomique industrielle européenne
A ce sujet, on n'a pas trouvé de consensus.Normal, le problème était posé en ces termes: comment assurer la sécurité atomique sans empiéter sur la liberté d'action de se défendre des pays de l'Ouest? Evidemment, c'était sans issue.
On anticipait aussi que le combat idéologique allait d'intensifier et que donc il ne fallait pas faire des promesses hâtives de réduction de la puissance nucléaire. De fait, on n'y est pas encore...
Ensuite, on a crée plein de consensus. Pêle-même: l'avenir de l'humanité (rien que ça!) est lié au développement de l'énergie nucléaire, ça coûte un maximum donc l'Europe va devoir se cotiser suivant le nombre d'habitants de chaque pays, il va falloir coordonner la politique en la matière , et là encore il va falloir s'intégrer rapidos.
La réunification de l'Allemagne
Il s'agissait d'un "problème urgent", et il était admis qu' "il ne peut y avoir de réelle sécurité en Europe sans lque a réunification de l'Allemagne ne soit achevée". On se doute bien que les Russes ne sont pas très chauds, alors on se dit qu'il va falloir "une grande patience" pour y arriver.
L'intégration européenne: marché commun et monnaie unique
Tout le monde -ô surprise!- était d'accord avec "l'idée d'intégration et d'unification", ainsi que "la reconnaissance de l'urgence du problème". Quel problème au juste? Pourquoi une urgence? Et que veut dire "intégration"?
l'instrument de cette "intégration"? La CECA, premier élément d'un pouvoir supranational européen, dirigé de manière obscure par des technocrates et posant des principes libéraux "libre commerce" etc. On notera au passage que Jean Monnet et Robert Marjolin, très introduits auprès le la CIA, on fait partie de la première équipe dirigeante.
On est aussi rassuré: bien que la CED (communauté européenne de défense) ait été un échec, l'intégration censée amener la paix et la prospérité en Europe et dans le monde, n'est pas stoppée pour autant!
"Bien que les membres du groupe avaient différentes points de vue sur la méthode par laquelle un marché commun pourrait être établi, il y avait une reconnaissance générale des dangers inhérents à la division actuelle des marchés en Europe et le besoin pressant d'amener le peuple Allemand, avec les autres peuples européens, dans un marché commun". On nous précise ensuite que "c'est ce qu'on décidé les six pays de la CECA en établissant un marché commun [du charbon et de l'acier]".
Certains intervenants européens expliquent même qu'il faut établir rapidement une "haute autorité qui exercerait sa juridiction sur des secteurs spécifiques de l'économie". Comme ça, en effet, pas besoin de l'assentiment des peuples: on nomme des types qui vont décider de tout à un niveau supranational.
Un autre a parlé du "besoin de créer une monnaie commune", ce qui implique "la création d'une autorité politique centrale".
Bref, l'affaire était déjà pliée bien avant le traité de Maastricht en 1992, qui a officiellement établi ledit marché commun. Un travail de longue haleine qui a nécessité des années de "consensus" comme celui-ci.
Mais, si l'on y regarde de plus près, c'est le Plan Marshall qui a établi, dès 1947, les bases de l'Europe. En effet, le texte mentionne que en contrepartie des millions du plan Marshall, les pays s'engageaient à:
créer l'OECE (Organisation Européenne de Coopération Economique, pilotée par Marjolin) afin que l'organisme gère la répartition des budgets de reconstruction dans les 16 pays destinataires. Ce fut fait en 1948.
ce que l'argent serve à acheter des produits fabriqués par les entreprises américaines.
ce que l'Europe mène la libéralisation interne de ses échanges.
A ce stade, on est obligé de constater qu'il s'agit bien, contrairement à ce qui a été dit au départ, de "construire les politiques européennes".
Problèmes économiques
Autre urgence (parce que tout est urgent, avec eux): étendre le commerce international et cela, en réduisant au maximum les "restrictions" diverses et variées au commerce. Parce que ben oui, le commerce amène la paix, comme nous pouvons le constater depuis 60 ans.
Les Américains trouvent aussi que l'Europe a fait une grosse erreur en refusant au japon la clause de la nation la plus favorisée (c'est-à-dire avec le moins de barrières douanières possible). D'ailleurs les barrières sont toutes à bannir, d'après les différents intervenants.
On trouve aussi qu'il faut surtout augmenter la productivité, et cela passe par la compétition industrielle.Et un marché commun euro atlantique passe, lui, par l'abaissement maximal des barrières tarifaires.
