Outreau, l'autre vérité: ce que le public ne devait pas comprendre
Invitée à l'avant première du film "Outreau, l'autre vérité" le 26 février, j'ai été agréablement surprise par le fait que ce film, malgré une obligatoire censure, amène le public à se poser des questions à propos de cette affaire qui finalement, est bien moins claire que certains ne veulent bien le dire. En remettant les choses dans leur contexte, ce documentaire montre qu'on a juste oublié une grande partie de la vérité, jetée aux oubliettes de la mémoire collective.
Le film surprendra beaucoup de ceux qui croyaient savoir, qui pensaient avoir compris l’affaire Outreau.
Le sujet n’est pas de dire « tous pourris », ni même de sous-entendre que la justice n’a pas été rendue. Mais, il est question de dire que Outreau, ce n’est pas seulement la vérité des acquittés, de leurs avocats, des médias.
C’est aussi la vérité des 12 enfants reconnus comme victimes au terme du procès en appel. De l’équilibrisme, de la haute voltige, mais un exercice réussi : on reste dans le cadre ultra restrictif de la loi, tout en dénonçant les anomalies, les fautes commises tout au long de cette affaire, jusqu’à l’apothéose quand le procureur demande pardon aux futurs acquittés avant le verdict d’assises.
Outreau, ce sont deux vérités judiciaires totalement contradictoires : des enfants qui disent la vérité, dénoncent des dizaines d’adultes, et seulement quatre coupables.
1. Les enfants disaient la vérité
Deux collèges d’experts ont confirmé que les enfants étaient crédibles. Ces experts n’ont décelé aucun mensonge dans les propos des enfants, les 12 reconnus victimes, et aussi tous les autres. Ils ont été honnêtes, contrairement à ce qu’ont dit les avocats de la Défense. Ils n’ont pas exagéré, bien au contraire.
Le capitaine de police Didier Wallet qui a entendu tous les enfants confirme qu’ils n’ont pas varié d’un iota dans leurs déclarations, et cela du début à la fin de l’affaire.
Ils n’avaient pas l’opportunité d’échanger entre eux, de monter la sordide machination que leur ont prêté un Berton ou un Dupont Moretti. En réalité, ils avaient déjà bien du mal à raconter leur histoire.
Le procureur qui a suivi les débats a rappelé que l’instruction tenait même si l’on ne prenait en compte que les déclarations des accusés et de différents témoins.
En face, la stratégie des avocats de la défense a été de faire bloc entre 13 accusés, qui à partir d'un moment ont tous tenu le même discours: nous ne nous connaissons pas, nous ne connaissons pas Badaoui. En face, trois autres accusés, finalement jugés coupables, qui avaient admis les faits, et Thierry Delay qui ne pouvait décemment pas s'en sortir.
2. La fainéantise des uns, la stratégie des autres
On ne peut pas reprocher à des avocats d’avoir défendu leurs clients, ni d’avoir exagéré. Contrairement aux journalistes, les avocats bénéficient de l’immunité de la plaidoirie. Ils peuvent donc raconter presque n’importe quoi, mentir, faire passer un loup galeux pour l’agneau de l’année. C’est le jeu, c’est la loi.
Mais, comme le rappelle une magistrate de la chambre d’instruction, il faut prendre ces gesticulations pour ce qu’elles sont : une stratégie. Quand les 19 avocats de la défense disent que l’instruction n’a été menée qu’à charge, c’est de la pure rhétorique. Quand les avocats de la défense disent que l’instruction n’est basée que sur les témoignages des enfants, c’est encore de la rhétorique.
Et comment se fait-il que la meute des journalistes a hurlé aux enfants menteurs avec les avocats de la défense ? L’un d’entre eux a le mérite de le dire, même si étant journaliste moi-même, je suis outrée d’entendre cela : les journalistes travaillaient avec le dossier d’instruction qui leur avait été remis par les avocats de la défense. Mais le dossier d’instruction, c’est 30.000 cotes, c’est impossible à lire seul et rapidement. Alors que s’est il passé ? Ils n’ont regardé que les pièces suggérées par la défense. Les journalistes n’ont pas fait leur travail. Ils n’ont pas travaillé de manière contradictoire, n’ont pas recoupé leurs sources, et ont trahi le secret de l’instruction pour le plus grand bonheur des futurs acquittés.
Les médias, gentils toutous des ténors du barreau ? On dirait bien. Je sais aussi que d’autres ont fait des « reportages d’ambiance » à Outreau sans jamais y avoir mis les pieds. Alors ils reprenaient les articles des collègues, en enfonçant encore un peu plus le clou, sur ces enfants menteurs, sur Badaoui la mythomane, sur ces accusés bafoués.
Le problème c’est qu’en faisant cela, les journalistes ont permis à la défense de mener sa stratégie de sape, et surtout d’occuper l’espace médiatique de manière continue quand en face, le silence des victimes était assourdissant.
3. Les censeurs déjà à l'action
Bernard de la Villardière, le courageux producteur de ce documentaire censuré, l’a dit : ses collègues de la presse judiciaire s’apprêtent à ne pas écrire ou dire un seul mot sur le film. Aucune chaine de télé n’en a voulu, pas même la télé publique qui se targue de nous éduquer avec l’argent des contribuables. Pflimlin préfère surement « Sous le Soleil », c’est moins polémique.
C’est justement parce que l’omerta va régner encore et encore qu’il faut aller voir ce documentaire, et qu’il faut en parler. Avant qu’il ne soit plus sur les écrans, et qu’Outreau ne quitte définitivement la mémoire collective.
Dans la salle où une bonne moitié d’avocats étaient présents à l’avant première, on sentait les gens réagir quand il est dit que les enfants victimes étaient dans le box des accusés lors du procès, passés à la question par 19 avocats alors que pour les 17 enfants victimes, deux avocats seulement se démenaient, payés par le Conseil Général.
Les gens ont réagi aussi quand ils ont appris que 12 enfants étaient victimes, crédibles et réduits au silence. Et à bien d'autres moments. Les citoyens, les parents, les justiciables, les journalistes, les avocats, les pédopsys et autres professionnels de l'enfance, les politiques: tous devraient voir ce film. Ne serait-ce que pour comprendre pourquoi, aujourd'hui, la parole des enfants est systématiquement bafouée dans nos tribunaux.
Ce film ne dit pas tout, loin de là. Il recadre les choses mais ne tire pas les ficelles jusqu'au coeur de ce qui a bien été un réseau pédophile international.
Le film laisse un goût amer. Ce qu’on entend est terrible, ce qu’on lit entre les lignes, ce qu’on comprend derrière les silences, est bien pire encore.
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Ajout du 28/02/2013:
Dans une interview écrite au Point, le juge Burgaud explique "Ce que montre le film, c'est ce qui s'est vraiment passé dans cette affaire, comment les choses ont évolué et quel a été le rôle des juges, des avocats, des hommes politiques et des journalistes. Résultat : on est bien loin de la "version officielle" de cette affaire".
Le documentaire: Lien valide en janvier 2023
Interview de Serge Garde à RTL jeudi
Serge Garde, réalisateur de "Outreau, l'autre... par rtl-fr
Une page Facebook où on parle du film: http://www.facebook.com/OutreauLeFilm