Violences sexuelles : 80% de victimes mineures et toujours pas d’âge de consentement
Le 19 juillet, alors que la France était écrasée sous la canicule, la "justice" a décidé que 3 pompiers sur 17 accusés de viols allaient être renvoyés, non pas pour viols, ni même pour agressions sexuelles, mais pour "atteintes sexuelles", sur une mineure vulnérable de 13 ans au début des faits. Atteinte sexuelle, cela veut dire que pour les magistrats, l’adolescente a consenti à deux ans de viols. Comment en est-on arrivé là ?
On parle beaucoup en ce moment des violences faites aux femmes, et c’est très bien car l’omerta demeure. Le sujet des violences sexuelles, spécifiquement contre les mineurs, est aussi une catastrophe sanitaire dans ce pays, que tout le monde refuse de voir.
"Les mineurs sont la classe d'âge la plus exposée aux violences sexuelles. Une enquête nationale de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie, conduite avec le soutien de l'UNICEF France, rapporte que 81 % des violences sexuelles seraient subies avant l'âge de 18 ans, 51 % avant 11 ans et 21 % avant 6 ans" [1]. Et dans la grande majorité des cas il s’agit d’inceste, donc de violences familiales, commises à plus de 90% par des hommes.
Comme nous sommes dans un pays dont les vieux relents patriarcaux reviennent vivement à la surface, les pouvoir publics ne font rien.
L’affaire de ces pompiers qui bénéficient d’une impunité quasi-totale s’inscrit aussi dans ce contexte général de minimisation des violences masculines (certaines parlent de terrorisme machiste [2]).
Sur les faits
Nous avions parlé en octobre et novembre 2018 de l’histoire de cette adolescente, appelée Julie dans les médias. A l’époque, le parquet venait de demander le renvoi en correctionnelle car selon les magistrats, le "défaut de consentement" de la victime était "insuffisamment caractérisé".
L’affaire est aussi simple que sordide : alors qu’elle avait 13 ans en 2008, Julie était suivie quasiment quotidiennement en pédopsychiatrie. C’est lors d’un important malaise survenu au collège que certains pompiers ont rencontré l’adolescente : "Suite à un malaise de Julie au collège, les Sapeurs-Pompiers de Paris étaient intervenus. L’un d’eux garda ses coordonnées puis la contacta via les réseaux sociaux : elle venait alors d’avoir 13 ans", explique la maman.
Certains pompiers, tous majeurs, ont commencé rapidement à la contacter : et des viols ont très vite été commis. Dans les toilettes de l’hôpital, sur le capot d’une voiture, à trois en même temps… Puis ils se sont refilé le numéro.
Au fil du temps, Julie était de plus en plus mal, évidemment a-t-on envie de dire. Les viols ont continué ainsi pendant 2 ans. Les pompiers sont intervenus 130 fois en deux ans suite à des problèmes de santé de Julie et saisissaient l’occasion pour abuser d’elle. Ils connaissaient donc parfaitement son âge et son état psychologique.
Julie n’a parlé qu’au bout de deux ans, alors qu’elle n’avait plus qu’une seule envie, celle de mourir. Les médecins ont heureusement décidé de la sevrer du traitement et c’est comme cela qu’elle a enfin pu s’exprimer en août 2010. Une plainte a été déposée immédiatement contre 20 pompiers identifiés, et seulement trois ont été mis en examen.
La version des pompiers est basique : ils ignoraient l’âge de Julie et c’est elle qui cherchait les relations sexuelles. Et d’ailleurs ils ne l’ont tous fait qu’une seule fois, ainsi qu’ils l’ont tous déclaré au cours d’une enquête interne.
La version de Julie est à l’opposé : les abus répétés étaient possibles parce qu’elle était mineure et vulnérable, déscolarisée et suivant un lourd traitement médicamenteux comprenant des neuroleptiques et d’antidépresseurs. Son mal être n’a fait qu’augmenter durant les deux ans (allant jusqu’à développer une phobie sociale), jamais elle n’a consenti à quoi que ce soit.
Eh bien après 9 longues années de procédure, le parquet a considéré que les pompiers disaient la vérité, que Julie disait n’importe quoi et qu’elle était consentante. Seuls trois de ces types devraient passer devant des juges, et encore, ils ne risquent pas grand-chose si ce chef d’accusation est retenu (les parents de Julie tentent de faire appel de cette décision).
Une pétition a été lancée par la maman de Julie, révoltée, comme l’est sa fille, et comme le sont tous ceux qui ont suivi cette affaire ou sont impliqués dans la défense des mineurs victimes de violences sexuelles. Cette pétition a recueilli environ 80.000 signatures en une dizaine de jours.
Malgré les circonstances aggravantes (agresseurs en uniforme, viols en réunion [3], mineure vulnérable), rien à faire. Pour les magistrats, cette ado de 13 ans avait comme fantasme de commencer sa vie sexuelle dans ces conditions. On se dit que tant qu’à faire, ils devraient même lancer des poursuites contre la victime pour avoir aguiché ces braves fonctionnaires.
L’atteinte sexuelle signifie que la victime était consentante. Cette qualification est retenue par élimination : s’il n’y a pas contrainte, menace, surprise, violence et que le mineur violé a le discernement, c’est donc qu’il n’y a pas absence de consentement, donc il y a consentement et alors on est dans l’atteinte sexuelle avec pénétration que la loi schiappa était censée ne pas avoir fait passer.
Mais, qui, dans les faits, est devenu une réalité bien concrète dans les rares procédures qui parviennent jusqu’à un jugement.
Réaction nécessaire
Nombreux sont ceux qui s’interrogent et même sont choqués par cette décision. Qui n’est pas une exception mais une décision incompréhensible parmi tant d’autres en matière de violences sexuelles contre les enfants. Rappelons au passage qu’en France, la justice est toujours rendue au nom du peuple.
Je reviens sur trois chiffres au sujet de ces procédures :
- En 2017 on a eu 76% de classements sans suite des plaintes pour viol.
- Moins de 12% des plaintes pour viol sont jugées comme des viols (chiffres 2016).
- Une baisse de 40% des condamnations pour viols en 10 ans [4].
Cela se passe en france en en 2017 et la situation, encore pire pour les mineurs que pour les adultes, continue à s’aggraver.
Le 26 juillet, les FEMEN ont mené une action devant les chefs des pompiers de paris, au ministère des Armées pour dénoncer ce renvoi en correctionnelle. "Aujourd’hui on est venues dénoncer l’impunité des violeurs. On dénonce cette justice patriarcale qui minore les viols", ont-elles résumé.
Cette décision dans l’affaire des pompiers ne sort pas de nulle part : elle est le fruit de réformes, de directives, et surtout d’un processus qui va clairement vers la négation du statut de mineur. Que ce soit pour les rendre responsables pénalement à 13 ans[5] (et nier ainsi un échec sociétal et donc politique), ou pour les rendre consentants à des viols collectifs, par exemple, la tendance est clairement à les responsabiliser.
On doit s’interroger : qui est-ce que cela arrange ?
En premier lieu les agresseurs sexuels, les pédophiles notamment. Des pédos, il y en a partout, et je dirais qu’en proportion, il y en a même davantage parmi nos élites que parmi la population générale. Quand on observe certaines décisions de nos législateurs, comme celle de refuser absolument un âge de consentement, on ne peut que s’interroger : de quoi ces gens ont-ils peur ? De la parole des enfants ? De condamner des pédocriminels ? D’ouvrir la boîte de Pandore des violences sexuelles contre les enfants ?
Et puis les pouvoirs publics, car nier 86% des viols faisant l’objet d’une plainte permet de minimiser l’ampleur du problème, de ne pas prendre de mesures et de faire des économies pour distribuer le pognon aux milliardaires.
Cela arrange aussi tout le lobby anti-victimaire : les experts "psys" spécialisés dans le SAP (syndrome d’aliénation parental) et les faux souvenirs, deux théories inventées par des pédos mais qui sont toujours utilisées chez nous, en Suisse, en Belgique, au Canada... Julie a eu droit à une expertise du ponte du SAP en France, Paul Benussan, grassement rémunéré (en tout cas pas au prix d'une femme de ménage comme d'autres experts) .
Cela arrange aussi les avocats qui font appel à ces mêmes psys pour défendre leurs clients accusés d’actes pédocriminels.
On l’a vu, par exemple dans l’affaire d’Outreau où à deux reprises des "experts" qui n’avaient jamais vu les victimes ont été appelés à la rescousse par les avocats d’acquittés pour déclarer contre toute évidence- mais on n’était plus à cela près dans ce dossier- qu’ils avaient menti et avaient de faux souvenirs [6].
Cela arrange également une justice indigente (que la clique au pouvoir n‘a pas l’intention de renflouer bien au contraire) et des flics sous financés, formés par les experts estampillés "faux souvenirs/SAP & et autres théories fumeuses".
Schaippa a réussi le tour de force de réunir l’ensemble des associations de protection de l’enfance contre sa loi bidon votée en plein milieu de l’été dernier, dont la mise en œuvre a été décidée de nuit à l’assemblée devant 25 députés en avril 2019. Toutefois, même si elle n’était pas censée être d’application, cette loi était déjà mise en œuvre comme l’ont suggéré différentes décisions cette année.
Devant le tollé généré par ce texte complètement à côté de la plaque, un individu inexpérimenté sorti d’on sait où a été gratifié d’un petit strapontin de secrétaire d’état à la protection de l’enfance. C’était en janvier 2019, et depuis on n’a plus entendu parler de cet obscur footeux.
Malgré la propagande, et l’activisme d’A Reculons ! pour défendre Schiappa sur les réseaux sociaux, les procédures aberrantes continuent, le déni de la parole des enfants est devenu systématique. Aujourd’hui, un enfant qui dénonce des abus commis par son père a toutes les ‘chances’ d’être placé chez l’agresseur par les juges et de ne plus voir sa mère qu’en point rencontre 1 heure toutes les deux semaines. Parce que la plainte est classée sans suite quel que soit le nombre de signalements et certificats médicaux, quels que soient les propos de l’enfant et encore plus de sa mère [7].
Le problème tient aux moyens et surtout à la formation des professionnels qui interviennent dans ces dossiers (magistrats, avocats, éducateurs, psys, médecins et autres ‘experts’…), et malgré les alertes répétées depuis des années rien ne change, et aussi à un lobbying mené par les pédocriminels d’un côté, les associations de pères de l’autre.
Le lobbying des pédophiles reste plus ou moins discret en France, mais il est bien réel : quand les médias unanimes ont défendu Cohn-Bendit, à qui Bayrou avait rappelé ses propos pédos à la télé dans les années 80, on avait compris que les amis du premier étaient nombreux. Idem quand Polanski a été défendu bec et ongles, jusqu’à la 5e plainte contre lui pour viols sur mineure. A ce moment, le fan club du pervers a commencé à se faire plus discret.
Bref, je ne vais pas énumérer les prises de position pro- pédo de ces dernières années, mais il y en a quelques-unes.
Nombreux sont ceux, en France, qui ne veulent surtout pas voir fixé d’âge en-dessous duquel la notion de consentement soit totalement exclue dans le cadre d’un rapport sexuel avec un adulte. Et encore moins à 15 ou 16 ans.
Comment en est-on arrivé là ?
Aujourd’hui, selon divers échos à l’international, la france passe pour un pays particulièrement obscurantiste en matière de lutte contre les crimes et délits sexuels en général, et contre les mineurs en particulier.
Ce pays est à contre-courant, et a aboli toute notion de minorité sexuelle alors que la tendance ailleurs est à augmenter l’âge de consentement.
Il faut savoir qu’en France un mineur peut être considéré comme consentant à des relations sexuelles complètes avec un adulte à partir de 5 ans.
Et si un seuil à 5 ans existe, ce n’est pas grâce au législateur –vous savez ces gens grassement payés pour ne pas venir voter les lois, ou pour voter comme l’exige leur chef- mais par la jurisprudence. Parce que des juges ont considéré que, quand-même, à 5 ans on ne pouvait pas dire qu’un enfant était consentant à un acte sexuel avec un adulte.
Une position qui pourrait bien changer avec la notion de "discernement" introduite par schiappa, et par les cours d’ "éducation sexuelle" imposés dès la maternelle.
Nous avons des cas récents en france où des enfants de 11 ans sont considérées comme consentantes à des viols avec de parfaits inconnus. Car la loi dit "que la violence, contrainte, menace ou surprise ne saurait se déduire du seul âge de la victime".
Qui a pondu un truc pareil ? Ce serait intéressant d’aller chercher.
Une autre nouveauté de la micronie est l’invention de tribunaux locaux sans jury populaire[8] pour expédier les crimes pas graves, selon eux, comme bien évidemment les viols et autres violences sexuelles, sur majeurs comme sur mineurs [9]. Il paraît que c’est super parce que ça ira plus vite. On a envie de dire qu’au lieu d’acheter 25 millions de cartouches de fusils d’assaut pour la police (11 millions d’euros) et 40.000 grenades de désencerclement (1,8 million), par exemple, ils pourraient investir pour permettre aux flics de mener des enquêtes un peu sérieuses dans les cas de viols sur mineurs, mais bon.
Nous avons bien compris que là n’était pas la priorité.
En attendant, le nombre de plaintes augmente, pendant que le nombre de condamnations baisse. Magie de la justice et de ses nombreux jockers : "classement sans suite", "correctionnalisation", "atteinte sexuelle", "faux souvenirs" etc.
Et quand un type finit par être condamné pour viol, chose extrêmement rare vous l’aurez compris, eh bien la peine moyenne est de 9,6 ans (chiffres 2016). Sachant que ces détenus modèles sont libérables à la moitié de leur "peine", la victime aura passé deux fois plus de temps à subir la procédure que le violeur en prison.
C’est ainsi qu’en 2016, seulement 396 personnes (dont 194 mineurs) ont été condamnées pour viol sur mineur et 134 pour viols par ascendant. Des chiffres ridicules au regard de l’ampleur de la catastrophe sanitaire que représentent les violences sexuelles en général, et sur les mineurs en particulier. Cette année-là, en 2016, il y a eu 7.886 plaintes pour viol sur mineur.
-------------------------------------
Nous avons un problème, l’évidence saute aux yeux dès qu’on prend le temps de regarder de plus près ce qu’il se passe. Si l’on observe les processus, nous avons des gouvernements successifs qui tout en nous assénant leurs envolées lyriques sur la protection de l’enfance, n’ont fait qu’aggraver la situation et nier la protection de l’enfance, justement.
Les premières victimes de ce processus sont celles qui sont broyées par la justice : les victimes de violences sexuelles, surtout les mineurs. Mais derrière, c’est la société toute entière qui subit les conséquences de cette inertie volontaire car trop systématique malgré les alertes.
Des études de victimologie montrent que chaque année en France, environ 130.000 filles et 35.000 garçons sont victimes de viols et tentatives de viol.
Aujourd’hui nous vivons dans une société où les agresseurs sexuels, et les pédophiles notamment, sont tout-puissants. Pour peu qu’ils soient un peu discrets ils sont assurés de l’impunité. 90% des victimes restent cachées et ne portent jamais plainte, selon des estimations qui concernent les adultes.
Derrière cette négation des victimes par la justice, il y a des histoires personnelles, toujours difficiles. Des victimes qui attendent un soutien, une reconnaissance de la part de la société à travers une décision de justice, et qui finalement sont à nouveau broyées.
L’affaire de ces pompiers ne doit pas rester noyée dans la masse des décisions surréalistes de la broyeuse –pardon la "justice". Il est important de dénoncer ce qu’il est en train de se passer et de faire entendre des voix raisonnables dans ce débat où jamais la parole des enfants n’est prise en compte.
[1] Avis relatif aux violences sexuelles : une urgence sociale et de sante publique, un enjeu de droits fondamentaux de novembre 2018.
[2] L’expression peut sembler exagérée, mais le machisme fait bien plus de morts chaque année en France que le terrorisme islamiste. Pourtant, on donne plus d’un milliard par an pour lutter contre les islamistes, quelques millions pour aider les femmes et enfants victimes des mecs.
[3] La maman de Julie explique dans sa pétition les faits concernant le premier viol en réunion : « Ce viol en réunion s’est déroulé en novembre 2009 alors que Julie avait 14 ans et se trouvait en état de grande vulnérabilité connue par au moins un des trois pompiers concernés. En effet, Julie sortait alors d’une hospitalisation en pédopsychiatrie (26 au 30 octobre 2009) et dût y retourner en urgence dès le 15 novembre 2009 après ce premier viol en réunion (du 15 novembre au 12 décembre 2009). »
[4] Ces chiffres ne dissocient pas les chiffres qui concernent les mineurs et les majeurs, et c’est bien dommage. Parce que j’avais calculé qu’une femme qui porte plainte pour viol a une chance sur 12 de voir l’agresseur condamné pour viol, alors que pour les mineurs c’est une chance sur 16.
[5] Certes, la délinquance des mineurs n’est pas acceptable. Mais le statut de mineur a été créé en 1946 parce qu’on considérait qu’un mineur n’avait pas le libre arbitre, qu’il devait en premier lieur être protégé, et que la société a pour rôle de les éduquer jusqu’à leur majorité.
[6] Au sujet des faux souvenirs, théorie bidon propagée par la CIA pour contrer la vague de dénonciation d’abus rituels aux USA et au Canada dans les années 80 et 90, je renvoie vers un ancien article dont je ne renie pas un mot.
[7] On a déjà abordé cette question dans plusieurs articles, par exemple ici, avec des illustrations par des cas concrets ici, ici ou ici.
[8] Ils appellent ça les tribunaux criminels départementaux, dont le seul intérêt est de permettre des économies.
[9] « On estime qu'environ 60% des affaires qui seront jugées dans ces instances concerneront des crimes sexuels, pour lesquels 80% des victimes sont des femmes », rappelait un article d’Europe 1 de novembre 2018, quand cette régression a été annoncée.