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15 mars 2009

La fondation Ford: une politique de formatage en Europe



La Fondation Ford a été créée en 1936 par Henri et Edsel Ford, qui lui ont légué une grande partie de leur fortune (3 millions de dollars d’actions Ford) à leur mort dans les années 40. Le but affiché dans les statuts de la fondation était de « recevoir et gérer des fonds pour des objectifs scientifiques, éducatifs et charitables pour le bien public ». Depuis le début, on trouve dans son équipe dirigeante des dirigeants de banque, ou d’anciens hauts militaires tout comme des universitaires, qui se font un plaisir de répercuter les idées de la fondation dans le monde universitaire et la société, aux Etats-Unis comme en Europe.

 

Au début, dans les années 30, la fondation distribuait des subventions à des institutions caritatives et éducatives du barletMichigan. A la mort des deux fondateurs, les finances de la fondation en ont fait la plus puissante des Etats-Unis, avec une trésorerie de 474 ou peut-être 500 millions de dollars d’actions Ford (certains disent que leur valeur était plutôt de 2,5 milliards de dollars).

 

Après la mort de Ford, c’est un dénommé Rowan Gaither qui prend les rênes de la fondation, ami avec Karl Compton, un officier missionné après la guerre pour transformer Rand (une organisation militaire) en organisation à but non lucratif, qui deviendra la Rand Corporation. Pour cela, il fallait des sous qu’il est allé chercher du côté de la fondation Ford. Gaither, devenu président de la Rand, est aussi devenu le président de la commission de la fondation Ford destinée à répartir les budgets. Comme ça, grâce au budget de la seconde, il met sur pied la première. Outre le mélange des genres, il y a en plus comme une promiscuité entre la fondation, le gouvernement et le militaire.

Paul Hoffman, ancien administrateur du plan Marshall et membre de l’OSS, prit sa suite en 1951.

 

Orienter la recherche

 

L’un des moyens par lesquels la fondation Ford influence la société (tout comme la fondation Rockefeller ou bien la CIA soit dit en passant) est l’orientation de la recherche scientifique, notamment en sciences sociales (sociologie, histoire, géographie). Ce type d’action était d’autant plus facile après la guerre, qu’aux Etats-Unis les financements publics pour la recherche en sciences sociales étaient quasiment inexistants.

Comme en France, ces matières, les sciences « molles » par opposition aux sciences dites « dures » n’est-ce-pas, ne sont dignes d’aucun intérêt. D’autres avantages non moindres de ce financement de la recherche (sobrement appelé à ses débuts « philanthropie privée ») sont de contrer le développement des universités publiques et normaliser la recherche via les échanges nationaux et internationaux d’étudiants et de chercheurs.


A ce sujet et pour résumer le principe, Michel Pollak dans « Une identité blessée : la recherche en sciences sociales », a écrit qu’ « à la faveur du laisser-faire pratiqué dans ce domaine par les gouvernements d’un grand nombre de pays européens, la fondation Ford put bien souvent orienter la politique des sciences sociales d’après-guerre ». Giuliana Gemelli parle quant à elle de « réseaux de recherche » (‘research network’) dans les domaines des sciences sociales et de l’économie, constitués par la fondation Ford dans le but de tisser des liens entre intellectuels, fonctionnaires et représentants politiques européens. Leur point commun, étrangement, est qu’ils se sont tous revendiqués comme étant des « humanistes iconoclastes », des « esprits libres », des « chercheurs désintéressés de la vérité », comme si tous ignoraient l’origine des financements grâce auxquels ils ont travaillé. Ce que certains chercheurs actuels, comme Frances Stonor Saunders, contestent.

Selon Pierre-Yves Saunier, « La Ford Foundation est un des acteurs des guerres froides intellectuelles, celle qui oppose ouvertement les blocs occidentaux et soviétiques, et celle qui, plus discrète, a pour enjeu la pénétration des valeurs états-uniennes dans ce qui n’était pas encore la « Vieille Europe ».

 

BUSN2A_00069_Pinkerton_Men_Leaving_Carnegie_Steel_Works_during_the_Homestead_Riot_c_1892_PostersC’est la fondation d’un riche exploitant d’aciéries au XIXè siècle, Andrew Carnegie, qui a commencé à comprendre suite à des mouvements sociaux qu’afin de maîtriser un tant soit peu les évolutions sociales qui menacent ses activités, il serait bon « d’investir dans la définition et le traitement scientifique des « questions sociales » de l’époque – urbanisation, éducation, logement, minorités, hygiène publique, etc. Loin d’être réfractaires au changement, ils vont au contraire promouvoir des formules réformistes qui ne remettent pas en cause l’ordre socio-économique et constituent une « alternative privée au socialisme », selon les mots de Nicolas Guilhot dans son article « Une vocation philanthropique » de la revue Actes de Recherche en sciences sociales.

Le but est donc clair dès le départ : il s’agit de canaliser le développement des mouvements et des évolutions sociales, si possible en les dépolitisant, et de toute manière en les éloignant autant que possible des revendications à tendance communiste ou socialiste. La fondation Rockefeller s’est d’ailleurs occupée dès les années 20 à court-circuiter le développement des sciences sociales en Europe, trop socialisantes à son goût. Mais on en reparlera plus tard.

 

Les gens de la fondation Ford, qui au début des années 50 étaient issus des rangs du gouvernement, avaient très bien compris l’intérêt de cette approche. Les financements de la Fondation vers la recherche en sciences sociales, qui s’élevaient à 4,5 millions de dollars à la fin des années 40, passèrent à 43 millions dix ans plus tard, soit les 4/5è du total des financements, qui allèrent principalement aux universités de Harvard, Chicago et Columbia. En Europe aussi, la fondation a financé la recherche en sciences sociales et économiques principalement. L’Institut des sciences économiques appliquées de Paris, ou la première fac d’économie à l’université catholique de Lille par exemple, doivent leur existence aux subsides de la fondation Ford.

 

Shepard Stone, président de la fondation (et grand ami de Jean Monnet) a utilisé un personnage éminent en Europe comme Paul Lazarsfeld, qui a fortement contribué à donner une place à la sociologie étudiée de manière empirique dans les universités Allemandes et Françaises notamment, et a été le fondateur des « sciences de la communication », qui fait encore référence à la fac de nos jours.

Il a été financé dans les années 30 par la fondation Rockefeller pour étudier le comportement des électeurs et des auditeurs de la radio, ainsi que l’impact des messages qui y étaient diffusés. C’est d’ailleurs lui qui donne naissance aux premières études d’audience, et aux premières études sur les médias et leur impact sur la population. On peut d’ailleurs parler d’études sur la propagande de masse pour une partie de ses travaux. Lazarsfeld a d’ailleurs crée à Columbia le Bureau of applied social research (BASR), qui vivait en grande partie grâce aux contrats de l’armée et de la CIA, et le Centre for Advanced Studies in the Behavioural Sciences avec l’aide de la Fondation Ford. Lazarsfeld a même été, finalement, conseiller de la politique pour les sciences sociales de la fondation à partir de 1951.

 

Henri Head, qui a succédé à Gaither à la tête de la fondation en 1956, était président de l’université de New York, a USA_oncle_sam2renforcé l’orientation des financements vers les boites privées, afin d‘en sélectionner les « élites » et de contrer les univ’ publiques.

Ainsi, la fondation Ford a décidé toujours dans les années 50, de financer un centre de recherches en sciences sociales où des « élites » d’Europe de l’Est et de l’Ouest discuteraient de grands principes forcément éloignés du socialisme. A l’Est –comme à lOuest avec la création grâce entre autres à Lazarsfeld en 1962 à Vienne de l’Institut d’études avancées en sciences sociales, lesdites « élites » étaient surtout chargées de critiquer le communisme grâce à des projets de recherche hautement financés par Ford. Georges Soros, un pur produit de ces universités, a pu ainsi entrer à la London School of Economics avant de devenir ce riche spéculateur qui prouvait à l’Est que le capitalisme était la panacée.

 

La fondation décide également de financer les vecteurs de propagande qui permettront à leurs « élites » d’avoir l’impact nécessaire dans l’opinion comme dans les milieux universitaires. On finance dont une maison d’éditions « indépendante » comme Intercultural Publications, à hauteur de 1,6 million de dollars entre 1952 et 1957. Ladite maison d’édition a publié par exemple la revue Perspective USA, parue en France sous le nom de Profil, dans différentes langues (plus de 100 pays sont couverts entre les éditions en anglais, français, allemand et italien), vendue à un prix abordable grâce aux subventions de Ford, mais ne marche pas.

On lance alors une sous édition, Country Perspectives, puis on subventionne des revues déjà existantes qui elles, marchent bien, comme Confluences ou Diogène. Créées en 1952, la première est dirigée par Henri Kissinger et publiée à Harvard, la seconde est publiée par l’UNESCO. D’ailleurs, l’UNESCO se vante toujours de collaborer étroitement avec la fondation Ford dans les domaines de l’éducation, de la culture et de la science. Petite parenthèse qui n’a pas grand-chose à voir avec le sujet quoi que : c’est là qu’on apprend par hasard que « Depuis 2001, et grâce au soutien financier de la Fondation Ford, le bureau régional de l’UNESCO pour la science en Afrique, basé à Nairobi, soutien le gouvernement ougandais en matière de conservation, gestion et d’analyse des ressources en plantes médicinales.» Qu’on se rassure, il ne s’agit pas de faire un inventaire pour permettre aux labos pharmaceutiques de tout breveter car l’UNESCO nous affirme que « le but de ce projet d’une durée de quatre ans, est de conserver la biodiversité et d’utiliser les ressources naturelles de manière durable ».Bref.

 

mbaMc George Bundy, ancien doyen de la fac des arts et sciences de Harvard et conseiller de Johnson et Kennedy, était président de la fondation de 1966 à 1979. Au passage, précisons qu’il a étudié le plan Marshall au Council on Foreign Relations avec Kennan, Eisenhower et Allen Dulles notamment.

Il a lancé un programme de financement de dix grandes universités pendant 7 ans pour subventionner des doctorants. Il pousse aussi à la création en Europe d’un East-West Institute of Management and Administration, initiant les facs de business à l’américaine en Europe. Où, bien sûr, on n’étudie que les versions orthodoxes de l’économie et dudit business, histoire de surtout bien perpétuer le système en faveur des élites. Avec la CIA, il créé le « congrès pour la liberté de la Culture », à la tête duquel il place Raymond Aron, historien et éditorialiste ouvertement anti-communiste et atlantiste qui fait encore référence lui aussi de nos jours. Ledit congrès avait une visée essentiellement anti communiste, et a été à l’origine en 1967 d’un fameux scandale au congrès US, scandale au cours duquel on a appris –ô surprise !- qu’il était financé par la CIA via la fondation Ford pendant ses dix-sept années d’existence.

De nombreux instituts tels que la Maison des sciences de l’Homme, initiée par Fernand Braudel, autre historien référence encore de nos jours pour « développer les ressources des centres de documentation et de recherche consacrés aux sciences de l’homme et de la société ».

 

Outre Raymond Aron, un personnage comme Michel Crozier, grand sociologue français référence également qui a inventé la « sociologie des organisations », est assez révélateur du système. Après des études de droit et de commerce, il obtient une bourse pour étudier les syndicats aux Etats-Unis (largement financés par la CIA à l’époque du moins) durant 14 mois. En rentrant en 1952, il arrive au CNRS, où il crée le Centre de Sociologie des Organisations en 1961. D’après le site de Sciences Po cet « intellectuel de gauche » -qui a rapidement retourné sa veste- avait « pour projet de comprendre les raisons pour lesquelles les employés n’ont pas la conscience de classe que leur suppose la théorie marxiste » et « participe, dès sa fondation, à l’Institut des sciences sociales et du travail (ISST) financé par des fonds provenant des contreparties de l’aide Marshall »  dont on sait aujourd’hui à quoi une partie des fonds était destinée (c’est-à-dire à entretenir un réseau de propagande en Europe, appelons un chat un chat).

Toujours d’après le site de sciences Po, il a été invité en 1959 par la Fondation Ford dans une de ses universités, à Palo Alto en Californie où il commence à écrire le bouquin qui l’a rendu célèbre, Le Phénomène Bureaucratique (1964) qui est à la base de la sociologie du travail (ou comment rendre le travailleur le plus productif possible). A la suite du livre, de nombreuses thèses et autres recherches ont suivi la voie et étudié les organisations et le managment, ce qui donne aujourd’hui cette magnifique notion de gouvernance.

 

Très vite, on a aussi voulu s’occuper de « sciences économiques », et de sciences politiques, qu’il convenait de cadrer carrot_motivation_cartoonsérieusement aussi. Aujourd’hui, la fondation Ford participe au financement de grands programmes de recherche sur « la gouvernance » par exemple via l’Institut de Recherche et de débat sur la Gouvernance (IRG), ce mot à la mode depuis quelques années qui désigne ni plus ni moins les méthodes de bureaucratie modernes, ou « l’organisation et la régulation du ’vivre ensemble ‘des sociétés, au niveau local et niveau mondial, et la production de règles du jeu communes », dixit l’IRG. Le mode d’action de l’IRG, sans surprise, est la multiplication des colloques, des « collaborations universitaires » et des revues sur ces enjeux cruciaux surtout en pleine crise mondiale. Des esprits mal intentionnés y verraient une grande similitude avec le concept de nouvel ordre mondial si à la mode lui aussi.

Au passage on peut préciser que l’IRG collabore avec Sciences Po (IEP) Paris (pas vraiment gauchiste), la London School of Economics, l’université de Columbia ou Harvard par exemple, et se vante d’avoir parmi ses partenaires des groupes aussi variés que la fondation Ford, le ministère des Affaires étrangères français, Coordination Sud (Fédération des ONG françaises de solidarité internationale), l’hebdomadaire Courrier International (on comprend mieux le virage libéral et mondialiste depuis quelques années), l’Observatoire des Réformes Universitaires (ORUS) ou l’Alliance pour refonder la gouvernance en Afrique…


Le Centre d’Etudes des Relations Internationales (CERI), organe du CNRS, est ainsi mis sur pied par un certain Jean-Baptiste Duroselle, lui aussi avec les subventions de la fondation Ford en 1952 ou 58 selon les sources. Inutile de préciser que le CERI est une référence encore aujourd’hui, et que ses analyses sont rarement dissidentes.

L’Institut Français des Relations Internationales (IFRI), dirigé par l’accroc du Bilerberg Thierry De Montbrial et dont tout le monde connaît l’impact dans la recherche et les médias français, a été crée 1979 avec « pour objectif de combler une lacune dans le paysage français en matière de relations internationales ». Parmi ses premiers soutiens, on retrouve comme par hasard la fondation Ford, toujours active aujourd’hui sur certains projets de recherches.

 

D’autres institutions internationales qui ont pignon sur rue et oeuvrent soi-disant au développement du monde, bénéficient toujours des subventions de la fondation Ford. Ainsi, l’International Finance Corporation, est « l’institution du Groupe de la Banque Mondiale chargée des opérations avec le secteur privé » et est censé « promouvoir des investissements privés durables qui réduiront la pauvreté et amélioreront les conditions de vie des populations ». La fondation Ford est l’un de ses partenaires dans différents projets de « développement ». Pierre Yves Saunier se demande quant à lui : « qu’y a-t-il de commun entre Family and Kinship in East London, le classique de sociologie urbaine signé par Michael Young et Peter Willmott, l’International Institute for Applied System Analysis de Vienne, le Population Council créé en 1952 puis installé face au siège de l’Organisation des Nations unies (Onu) et le centre de recherches biologiques de Tihany dans la Hongrie des années 1930 ? Le lecteur le plus inattentif aura deviné la réponse : ils ont tous été financés par des grants des grandes fondations philanthropiques états-uniennes, notamment celles des groupes Rockefeller et de la Ford Foundation ».

 

On parle ici essentiellement de la France, mais les universités et les revues « scientifiques » étaient et sont encore subventionnées un peu partout en Afrique, en Russie, au Canada comme en Europe, en Italie avec Olivetti, via des personnages référence dans les médias et relais auprès des dirigeants, comme en France. Au final, la fondation Ford finance aujourd’hui de nombreux programmes de recherches à travers le monde. Elle a aussi crée de nombreuses fondations locales (cf. Fondation Ford pour l’Afrique de l’Ouest) pour financer par elles-mêmes les projets porteurs, ou finance directement d’autres fondations, comme au Canada.

 

D’après le site de la fondation, ce sont quelques 455 millions de dollars qui vont chaque année dans les subventions aux programmes de recherche à travers le monde.

 

eurometri_cartoonConstruire l’Europe

 

La fondation Ford a donc pignon sur rue dans les milieux universitaires jugés sérieux ainsi que dans les médias. L’un des objectifs auxquels elle va s’atteler via la recherche universitaire et le financement de divers médias notamment, est ce qu’on appelle « la construction européene ». Pendant ce temps, les Etats-Unis via la CIA font le même travail d’une manière plus large, tout comme la fondation Rockefeller. Les premiers dirigeants de la fondation Ford étaient très proches des premiers architectes de l’Europe, et ont parfois participé au cours de leur carrière à la rédaction de certains grands textes européens, ce qui a grandement facilité les choses. Revenons donc aux premières années de ladite construction.

 

Hoffman, devenu chef de la fondation Ford en 1951, était donc administrateur du plan Marshall après-guerre et à ce titre très proche des « élites » européanistes. Il s ‘est entouré à la tête de la fondation d’autres personnages du même acabit, tels que Milton Katz (ancien assistant de Gaither au plan Marshall), John McCloy (ex-chef du Haut commissariat US en Allemagne, président de la Banque Mondiale de 1947 à 1949 –au moment du plan Marshall, puis administrateur de la fondation Rockefeller, puis président de la Chase Manhattan Bank de Rockefeller, puis président du fameux Council on Foreign Relations après David Rockefeller, puis conseiller –comme c’est étrange- de presque tous les présidents US jusqu’à Reagan, il a aussi été dans la commission Warren qui a condamné Lee Harvey Oswald pour l’assassinat de Kennedy. Surtout, il était un grand ami de Jean Monnet le père de l’Europe avec qui il a fortement encouragé l’intégration de l’Allemagne dans ladite Europe…), Shepard Stone (ex haut commissaire US en Allemagne, futur chef des activités européennes de la fondation en 1956 et européaniste convaincu; lui aussi très ami avec Monnet) ou George Kennan (il était le penseur du plan Marshall, dit-on, et surtout profondément anti communiste, ambassadeur US à Berlin au début de la deuxième guerre, puis au Portugal quand Salazar s’installe, puis en URSS).

En 1952, un ancien administrateur du plan Marshall en Allemagne lui aussi, et ancien de l’OSS, Richard Bissell, arrive à la tête de la fondation, qu’il quitte deux ans plus tard pour devenir l’assistant d’Allen Dulles, le chef de la CIA, où il a mené des pourparlers avec les chefs mafieux pour éliminer Castro. C’est John Mc Cloy qui le remplace comme président de la fondation. Bref, on entrevoit les capacités d’action d’une telle équipe de vainqueurs.

Ensemble, tous ces gens ont donc lancé les bases d’une action internationale de la fondation. Dans des buts purement œcuméniques bien entendu. On mise donc sur les « élites » issues des organismes qu’on a financés seuls ou avec la CIA. On finance aussi de très nombreuses revues dites « scientifiques » dans le domaine des sciences sociales, histoire de formater les mentalités, et on s‘occupe également d’Europe.

 

Et puis, on utilise encore une fois la recherche universitaire pour implanter l’idée fédéraliste dans les mentalités. A Bruxelles, c’est le "European Community Institute for University Studies" qui a  été créé en 1957 par la fondation, pour « renforcer l’alliance euro atlantique ». En 1971 par exemple, l’Institut a touché 50.000$ de la fondation. Le directeur dudit institut, le grand européaniste Max Kohnstamm, a aussi été vice président du Comité d’action pour les Etats-Unis d’Europe quand Monnet en était le président, et secrétaire de la Haute Autorité de la CECA, et était un grand ami de Monnet.

D’après le bilan de la fondation, les activités de cet institut ont été fructueuses, faisant avancer l’idée européenne, l’anti communisme et les sciences sociales dans le sens qui convenait. Une grande partie de ses activités revenait à fournir de la documentation européaniste à partir des recherches. Stone, grand ami de Monnet, s’est fait un plaisir de financer ce centre, comme d’autres (le Comité d’Action pour les Etats-Unis d’Europe et son centre de documentation, dont la Ford était un des principaux contributeurs au moins au début, le Congrès pour la liberté de la Culture, le Consortium européen pour la recherche politique qui a touché pour sa création 272.500$ de la fondation sur cinq ans)

 

 

Un personnage comme Shepard Stone est assez symptomatique lui aussi du système Ford : envoyé à l’université deP15_cartoon_euroconstitution Berlin en 1929 pour étudier l’histoire, il est ensuite journaliste au New York Times chargé du suivi de l’Allemagne nazie dans les années 30, puis passe aussi, avec son ami Mc Cloy, au Haut Commissariat US en Allemagne de 1949 à 1952. A la fin de la guerre, il aurait « mis en lieu sûr des documents du ministère des Affaires étrangère allemand, qui auraient fourni des évidences lors des procès de Nuremberg ». Or, des évidences à Nuremberg, il y en a eu peu.

Ensuite, en Allemagne, Stone a reconstruit le système médiatique (ce qu’il a poursuivi avec l’aide des sous du plan Marshall) et envoyé de nombreux étudiants aux Etats-Unis. En 1952, il arrive, avec Mc Cloy, à la fondation et s’est attelé à réunir les élites européennes de droite et de gauche dans le combat contre le communisme et ses valeurs. Il mène une sorte de guerre idéologique basée sur différents instituts et centres de recherche.

 

En Europe, la fondation Ford a donc contribué à financer divers groupuscules, comme le Comité pour les Etats-Unis d’Europe institué par Jean Monnet (ex Président de la Haute Autorité de la CECA) après l’échec de la Communauté Européenne de Défense (CED), qui se voulait « un groupe d'action d'élite destiné à promouvoir des réalisations concrètes pour la création des Etats-Unis d'Europe » afin de rallier les politiques (sauf les communistes bien sûr) à l’idéal européaniste. Car, évidemment, les masses versatiles ne sont pas la cible de nos « élites ». Ledit Comité avait différentes antennes, comme l'Institut de la Communauté européenne pour les Etudes universitaires, basé à Lausanne et Bruxelles, financé à son origine au moins par « un don généreux de la Fondation Ford, où Monnet comptait un ami de longue date, Shepard Stone ».

John Mc Cloy, grand ami de Monnet et futur membre éminent de la fondation Ford, ancien du plan Marshall, a œuvré pour l’amitié franco allemande et pour que le plan Schuman passe tel quel, ce qui n’était pas gagné, parce que ce plan menait à la CECA, à la CEE (traité dont il a permis la signature), et à l’Union européenne. Il a aussi beaucoup poussé à la mise en place d’une armée européenne intégrée dans l’OTAN évidemment.

 

Le Mouvement Européen, lui, est un think tank européaniste crée dès la fin de la guerre en 1948 car il ne faut pas perdre de temps c’est bien connu. Il « coordonnait » après-guerre les divers mouvements nationaux pro européens (enfin, de l’Europe telle que les textes l’ont construite s’entend) tels que la Ligue Européenne de Coopération Économique (octobre 1946), le United Europe Movement (janvier 1947), l’Union Parlementaire Européenne (juillet 1947), les Nouvelles Équipes Internationales (mai 1947), le Mouvement Socialiste pour les États-Unis d’Europe (février 1947), ou l’Union Européenne des Fédéralistes (décembre 1946).


Sur le site, le rôle dudit Mouvement est écrit noir sur blanc puisqu’on nous explique que « L'une de ses fonctions principales pendant la période allant des années cinquante aux années quatre-vingt dix fut la création de think-tanks et d'un réseau de mobilisation dans les pays démocratiques de l'Europe ainsi que dans les pays soumis à des régimes totalitaires [= communistes] ( …) Depuis 1948, le Mouvement Européen joue un rôle essentiel dans le processus de l'intégration européenne en influençant les institutions européennes et nationales » afin d’arriver à une « Union Européenne Fédérale » qui, si les décisions se prennent de manière aussi démocratique qu’actuellement, éloignera encore plus le citoyen de l’exercice du pouvoir. C’est le Mouvement Européen qui a crée le Conseil de l’Euope qui réunit les chefs d’Etat pour la première fois en 1949, le premier organe européen à édicter des normes dans le domaine des droits de l’homme (peu contraignants évidemment).

 

cartoon_euro_stat__800_x_600_A partir d’archives déclassifiées de la CIA datant de 1950, le quotidien anglais The Telegraph a raconté en 2001 comment les services secrets US ont mené campagne en faveur dune « Europe unie », y compris avec l’Angleterre. On nous explique que « l’outil pour élaborer l’agenda européen était le Comité pour les Etats-Unis d’Europe, crée en 1948 » par Jean Monnet, et dont le président était William Donovan chef des Services stratégiques de l’armée US, et le vice président Allen Dulles, chef de la CIA à ce moment-là. Le journal évoque aussi le Mouvement Européen, financé en grande partie (plus de 53% en 1958) par l’ACUE, elle-même financée par les fondations Ford et Rockefeller ainsi que par des trusts US.

 

Pour Bottom, de la Olin School of Business de Saint Louis, le plan Marshall aurait en outre largement servi à adapter les économies française et allemande aux pratiques US. Les acteurs clé de ce processus côté US sont d’après lui le père de l’ultra libéralisme et ami de Monnet, Walter Lippmann, et John Foster Dulles, et côté français un certain Georges Doriot (après un passage au MIT, ce prof de management et business à Harvard où il a fait un MBA et président de la Harvard Business School, inventeur du capital risque pour les besoins de l’armée US, a aussi crée l’Institut Européen d’Administration des Affaires avec d’anciens camarades de Harvard. Les Echos nous disent à son sujet que pendant les années 30 et suivantes « il fait également beaucoup pour exporter le modèle de la business school américaine vers l'Europe, et notamment vers la France. Il est en effet convaincu du caractère éminemment global du capitalisme et du rôle pionnier en la matière du modèle américain qui, pense-t-il, s'imposera tôt ou tard au reste du monde », qui justement sont parmi les grandes préoccupations de la fondation Ford (et consorts). Au passage, il est même général dans l’armée US pendant la deuxième guerre).

Mais revenons à nos personnages clé de l’harmonisation des économies française et allemande, qui pour Bottom étaient Paul Hoffman, futur chef de la fondation Ford qui était alors au plan Marshall, et Jean Monnet qui a l’époque était encore un commerçant international. Au cas où on n’aurait pas compris, Bottom précise même que Monnet  « a crée une amitié durable avec Lippmann et Dulles » ainsi qu’avec d’autres membres de l’ACNP », l’American Commission to Negotiate the Peace, un truc rattaché au secrétariat d’Etat US crée à la première guerre.

 

Pour revenir un peu à Monnet le « père de l’Europe », on apprend également, en se colletinant les rapports annuels de la fondation Ford depuis 1949, qu’en 1958 ladite fondation, afin « d’aider à l’effort de l’intégration européenne », a inauguré une « nouvelle organisation centrale connue comme l’Institut de la Communauté Européenne pour les Etudes Universitaires (…) grâce à une subvention de 500.000$ de la fondation », pour une durée de cinq ans. On nous précise également que sa présidence comporte « d’éminentes personnalités du mouvement de l’intégration européenne telles que Jean Monnet, Louis Armand, Walter Hallstein, Max Kohnstamm, et Robert Marjolin ». L’institut en question est par ailleurs chargé de soutenir des programmes universitaires pour former des gens au marché commun Européen, à la CECA, à Euratom, et toutes les institutions similaires qui pourraient être créées.

 

La fondation poursuit en expliquant que le Comité pour les Etats-Unis d’Europe de Monnet a crée en 1957 le Centre de Documentation à Paris, pour fournir informations et données techniques aux politiques, avec les 150.000$ de subventions de la fondation Ford.


En 1961, «puisque cette année l’intégration Européenne a avancé vers une possible extension du marché commun, la europa_buerokratie_304515fondation a continué à soutenir les institutions concernées par la recherche et la compréhension pour des relations plus étroites entre les communautés atlantique et européenne ». Elle a même décidé de faire un bouquin d’interviews des « grands architectes de l’unification » européenne, et la fable a commencé.

 

Aujourd’hui, l’histoire de la « construction européenne » est devenue un dogme verrouillé qu’on ne peut contester sous peine de passer pour un communiste ou un fan de théorie du complot. Mais, les faits sont là : toute la documentation sur l’Europe a été réalisée par les tenants de l’Europe fédérale. Le processus européen est expliqué par la théorie dominante européaniste, dont la version est en gros, que Jean Monnet et Robert Schuman se sont levés un matin avec la brillante idée de construire une Europe avec un marché commun, une monnaie unique et une armée commune, afin de préserver la paix. C’est ce qu’on enseigne aux enfants de primaire, et jusqu’à la fac. Quelqu’un comme Jean Monnet, via ses Mémoires, sa fondation et ses activités dans de nombreux instituts européanistes, a joué un rôle considérable dans le cadrage des recherches et des thématiques européennes.

Il existe de nombreux organismes destinés à orienter la « recherche » historique en matière européenne, comme par exemple le Groupe de liaison des professeurs d’histoire contemporaine auprès de la Commission européenne (mais officiellement « indépendant »), crée en 1982 après que la Commission ait organisé un colloque « pour lancer la recherche historique sur la construction européenne ».

 

On comprend mieux pourquoi la pensée européenne est toujours orthodoxe, et pourquoi la critique n'a aucune place pour s'exprimer. L'information a été verrouillée, la recherche aussi, et enfin l'ensemble des institutions européennes ne sont composées que des "élites" sorties des moules européanistes. Voilà pourquoi aujourd'hui, tous sont pour le traité de Lisbonne malgré le refus plutôt clairvoyant des populations.

Mais, ne nous y trompons pas: la fondation Ford n'est pas la seule à oeuvrer dans ce sens, et ses activités sont bien plus larges que l'aperçu donné par cet article.


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