L'Allemagne lance le flicage des salariés... surtout les grévistes
L’imagination des
bureaucrates est sans limite, notamment quand il s’agit de fliquer le populo.
Dernière trouvaille en date, venue d’Allemagne cette fois-ci : le fichier
ELENA (Elektronischer Entgeltnachweis, ou attestation électronique de revenus).
On a eu EDVIGE, glissé en douce cet été après le fichier ARDOISE, mais il
s’agissait de fliquer des terroristes potentiels (surtout dans les rangs des
gauchistes, cela va de soi). Parce que bon, l’extrême droite n’est pas un problème, de nos
jours. Bref, en Allemagne, on a trouvé un autre prétexte, utilisé assez souvent
par les gouvernements qui veulent faire de la casse sociale : la « simplification »
des procédures administratives.
Comme
quand sarkoléon nous a « simplifié » le code du Travail, par exemple…
ELENA,
à vrai dire, traîne dans les tiroirs depuis quelques années, et Schröder y
pensait déjà, pour « simplifier » les démarches administratives. En
2008, ledit fichier avait remporté haut la main le Big Brother Award,
qui récompense l’invention la plus liberticide de l’année.
Depuis, le fichier a été remanié et est encore pire. Mais en 2008, déjà, il s’agissait
d’un fichier centralisé
regroupant les informations sur les rémunérations et les ressources des 40
millions de salariés allemands. Le système est simple : au nom de la « simplification »,
de la « diminution des coûts »1]
et bien sûr de la « lutte contre la fraude », tous les employeurs doivent
entrer informatiquement les salaires et autres qu’ils versent à leurs employés,
via un « certificat électronique de déclaration ». Comme ça, dès qu’un
salarié ou ex-salarié demande à l’Etat une prestation sociale (parce que oui,
les vaches à lait, parfois, se retrouvent au chômage), il sera facile de
vérifier si la demande est réglementaire ou pas.
C’est
sûr : il n’y a plus de paperasse. Avec la « carte ELENA » qu’on
lui donnera, le salarié pourra faire des démarches en ligne sans devoir
chercher moult justificatifs. Mais, le revers de la médaille n’est pas
négligeable. Car on n’enregistre pas que les salaires. Il y a aussi les noms,
adresse, date de naissance, le numéro d’identifiant pour la retraite, la durée
du contrat de travail, et des données sur l’employeur.
Quelle
ne fut pas la surprise des salariés allemands lorsqu’ils constatèrent, en 2009,
que des informations sur les grévistes étaient aussi comprises dans le « certificat
électronique de déclaration »…
En effet, les grévistes sont mentionnés, ainsi que leur temps de grève et les motifs de la grève, c’est-à-dire sa « légitimité ». Et puis, tant qu’à faire, on mentionne aussi les salariés licenciés, la « raison » du licenciement en question (et on le sait bien, les motifs de licenciement deviennent de plus en plus laxistes), les rappels à l’ordre reçus par les salariés, l’absentéisme2] etc. Au final, le « certificat » de chacun des millions de salariés Allemands fait… 41 pages !
Retour au XIXè siècle
Clairement,
on en revient au fameux livret ouvrier du XIXème siècle3],
contre lequel se sont battus les travailleurs pendant des dizaines d’années. C’était
un carnet, dans lequel les employeurs successifs des salariés écrivaient leurs
commentaires sur son comportement et son efficacité. Le pauvre bougre devait
traîner son livret durant toute sa vie professionnelle, et une mauvaise
appréciation (ou pas de livret) pouvait l’éloigner définitivement du monde du
travail.
En principe le fichier ELENA devrait être opérationnel en 2012, mais la collecte des informations auprès des trois millions et quelque d’entreprises allemandes a commencé. Et le plus grand syndicat allemand, ver.di, a menacé de porter plainte devant la Cour européenne des Droits de l’Homme pour, justement, atteinte aux droits de l’homme.
Et,
comme pour
le fichier EDVIGE passé par décret en plein été, la contestation de la
population a un peu freiné les ardeurs liberticides du gouvernement. Il serait
même question de retirer le fichier, comme sarko et MAM ont retiré EDVIGE,
avant de nous la refourguer sous le nom de EDVIRSP (certes, un
peu plus dur à retenir, mais avec quasiment le même contenu et aucun contrôle des
données possible).
La
tendance est là : on veut fliquer le
salarié/consommateur/citoyen/militant/gauchiste de manière systématique. Les
fichiers légaux prolifèrent, mais les fichiers illégaux aussi. EVIGE, par
exemple, a longtemps existé de fait sans être légal.
Et dans certaines
entreprises, comme
France Telecom, on a pris la direction à remplir des fichiers sur certains
salariés, où on mettait des informations sur leur santé et éventuels problèmes
personnels (pour virer les suicidaires ?) ainsi que leurs actions
syndicales, forcément louches. On a aussi chopé un site d’Alstom
dans les Yvelines, jadis, qui avait crée un fichier mentionnant la vie
privée, le caractère, la motivation des 548 salariés de la boîte… Mais les
exemples sont nombreux4]
et tous illégaux, du moins pour l’instant.
[1] 85 millions d’euros d’économies espérés,
il fallait au moins ça…
[2] Apparemment, dans une version antérieure
du fichier l’employeur devait même mentionner les causes de chaque absence. Et
bien sûr de chaque départ.
[3] Inventé, je vous le donne en mille, par Napoléon en
1803 (et renforcé par Napo III), pour limiter la circulation des
travailleurs (il fallait demander une autorisation à la commune pour quitter l’endroit,
et dire où on allait). La même année, les rassemblements d’ouvriers sont
prohibés…
Celui qui n’avait pas son livret était considéré comme un
vagabond, et était envoyé en prison ou au bagne. Evidemment, sans
livret pas de travail. Il fallait que l’employeur ait inscrit la date de
sortie et signé le livret (contresignés par le Maire), sinon le travailleur ne
peut pas partir, et sûrement pas trouver un autre emploi. Bizarrement, en 1810,
napoléon a interdit le droit de grève… Il a été abrogé en 1890. Ce qui est
drôle, c’est que les employeurs ont trouvé, à force, le système trop
contraignant : remplir le livret quand on emploie 40 personnes pendant 2
ou 3 jours est une contrainte terrible, et puis il était possible de fliquer
les ouvriers autrement.
[4] Un centre Leclerc a été condamné à 30.000 euros d’amende (ouh), pour un flicage des horaires de travail et des caméras non déclarées.