Cas d'école: comment la dette de la Grèce profite aux spéculateurs
Une petite info qui mérite de s'y arrêter: quelques uns,
timidement, ont dénoncé le rôle de la banque Goldman Sachs dans l'aggravation
de la situation financière de la Grèce. Ladite banque, qui affichait un bénéfice de
plus de 13 milliards de dollars pour 2009, a joué sur tous les tableaux.
Mais,
d’autres pays sont dans la ligne de mire des fonds spéculatifs, qui font ce
qu’ils veulent des monnaies. Derrière tout cela, un processus qui mènera
probablement à la tant attendue monnaie mondiale, censée régler tous les
problèmes.
L’exemple
type : la Grèce
Angela Merkel a lancé le pavé dans la mare fin février: elle estime
"scandaleux" que Goldman Sachs1] ait
aidé la Grèce à maquiller l'ampleur de sa dette (112% du PIB aujourd'hui). Cette
dissimulation, dans la mécanique des marchés, offre un boulevard aux
spéculateurs et amène à cette crise de la dette grecque, qui gêne toute la zone
euro. De 2001 à 2004, Goldman Sachs a donc gagné -au minimum- 150 à 220 millions d’euros en aidant la Grèce à dissimuler une
partie de ladite dette.
Normal :
après la gestion désastreuse du leader de la droite Caramanlis2] et de
ses prédécesseurs, les caisses du pays étaient encore plus vides que celles de
la France après trois ans de sarkoland et une crise économique. Les nombreux scandales financiers3] et la corruption ont complètement
décrédibilisé des gouvernements qui mettaient en œuvre des mesures d’austérité
depuis des années afin de compenser leur irresponsabilité en matière de
gestion.
Pour gagner de l’argent en misant sur le risque que la Grèce n’arrive pas à
rembourser sa dette, Goldman Sachs a utilisé des obligations basées sur la
dette grecque, mais en manipulant les cours de change, donc la valeur de la
dette. L'autre méthode: anticiper les recettes à venir et les mettre dans la
comptabilité en avance. La banque a touché entre 200 et 300 millions d'euros pour ces conseils avisés...
A côté de
cela, Goldman Sachs n'a pas perdu le nord: pendant qu'elle
"conseillait" le gouvernement grec, la banque a aussi incité ses
clients (notamment des hedge fund) à spéculer via des produits dérivés de dette
(les CDS pour Credit Derivative Swap, une copie des Credit Default Swaps4]), sur la crise grecque. Plus le risque
d'effondrement du pays est important, plus les bénéfices peuvent être
importants. C'est en partie ce qui a créé la crise subprime,
d'ailleurs. Le système est simple :
1. Goldman Sachs achète des morceaux de la
dette grecque.
2. Elle redivise ces parts de dette en plus
petites parts, et les mélange avec d’autres paquets d’autres dettes (subprime
par exemple)
3. Un fonds (par exemple, ou la banque)
achète ces paquets sous forme d’un contrat d’assurances (les CDS, ou swaps) en
mettant seulement 10% du prix sur la table, et plus il y a un risque que le
pays ne rembourse pas dans les cinq ans (comme c’est le cas pour les swaps du
fonds Paulson), plus le prix est élevé.
4. Chaque mois au chaque année, le fonds
verse un loyer à la banque qui émet le produit dérivé.
5. Si
la Grèce est en cessation de paiement, la banque (ou AIG par exemple dans le
cas des subprime) rembourse le fonds spéculatif.
Ce qui permet à
la banque de gagner de l’argent avec les intérêts payés par la Grèce, mais
aussi avec les loyers payés par les acheteurs de ces CDS. Acheteurs pour qui il
suffit de mettre 100.000$ sur la table pour un gain minimal de 1 million (en
l’occurrence plus l’euro baisse, plus la somme est importante).
Sauf qu’avec
les subprime, où les hypothèques ont été revendues comme la dette grecque
ensuite, les banques et les « assureurs » type AIG qui avaient trop
risqué et se sont retrouvés en cessation de paiement. Résultat : des
millions de gens à la rue.
Bref :
Goldman Sachs était l'un des plus gros poissons à spéculer sur l'endettement de
la Grèce, avec par exemple son client le fonds d'investissement US Paulson5] (appartenant à John Paulson, le "sultan des subprime", ex dirigeant de la banque Bear
Sterns qui a coulé pour avoir trop déliré sur lesdits subprime) ou encore la
banque JP Morgan Chase6]. Début mars, les fonds et les banques
détenaient pour plus de 85 milliards de dollars de swaps sur la dette grecque,
pendant que Papandreou dénoncait les « spéculateurs » qui s’acharnaient contre son pays.
Accessoirement,
pour être certaine que la dette de la Grèce plombe réellement le pays et pour
que les dérivés sur les emprunts Grecs soient le plus risqués et
rentables possible, la banque a fort probablement organisé la diffusion de la
fausse info du Financial Times disant
que la Chine avait refusé d'acheter des titres de la dette grecque car ils étaient
trop risqués. Évidemment, ça décrédibilise la Grèce sur les marchés. Du coup,
la dette devient plus chère pour la population (le taux d’intérêt que doit
rembourser le pays était de 6,25% début mars) mais beaucoup plus rentable pour
Goldman Sachs.
Selon une note de HSBC, 39% de ceux qui ont acheté de ces CDS
sont des hedge funds, suivis par 24,5% de banques, puis des fonds de pension
(24,5% aussi), 7% de banques centrales etc. Quant à l’origine géographique des
spéculateurs en question, on a 23% des achats qui viennent de Grèce, 20%
d’Angleterre, 14% d’Allemagne.
Aujourd'hui,
la Grèce est obligée de couper dans les dépenses sociales pour réduire une
dette qui finalement a surtout profité aux spéculateurs7]. Et
Goldman Sachs admet à peine que ses opérations sur la dette grecque auraient du
être plus transparentes, mais de toute manière la banque n'a vu
là rien "d'inapproprié". Pourtant, les intérêts que le pays doit
verser pour emprunter coûtent 0,5% du PIB.
Pourtant
encore, il paraît que la FED a ouvert une enquête sur les fameux CDS détenus par Goldman
Sachs et ses camarades.
Hélas, la
Grèce n’est pas le seul pays à être pris pour cible par les fonds spéculatifs. C’est
Jean-Pierre Jouyet, de l’Autorité des Marchés Financiers, qui a dénoncé la spéculation
des hedge funds
contre certains pays comme l’Espagne, le Portugal ou la Grèce, dont les dettes
sont plus importantes et peut-être un peu moins sûres que celles d’autres pays
européens. Toutefois, il est étrange que Jouyet ait affirmé ne pas pouvoir
nommer lesdits hedge funds.
Un peu
plus tard, quelle ne fut pas la surprise du contribuable grec exaspéré en
apprenant que les principaux hedge funds8]
ont envoyé leurs représentants afin de se mettre d’accord pour parier à la
baisse sur l’euro !
C’était
début février à Manhattan. Le but ? Que l’euro vaille un dollar, comme ça tout le fric
amassé par les fonds spéculatifs -en dollars, vaudra beaucoup plus. Et ça a
l’air de marcher : en décembre, l’euro était à 1,51 $, pour en valoir autour
d’ 1,35 fin février et en mars. « C’est
l’occasion… de se faire beaucoup d’argent ! », expliquait un chef
de hedge fund au Wall Street Journal. Depuis décembre, le prix des swaps, ces
produits dérivés qui misent sur la chute de la dette grecque, ont doublé de
valeur. Des fonds comme le fonds Paulson en détiennent un paquet, et des banques
comme Goldman Sachs les créent. Alors que parfois, personne dans l’histoire n’a
acheté de dette de la Grèce.
Apparemment,
la cabale contre l’euro a commencé le 4 décembre, quand il a perdu 1,5% face au
dollar en une journée. Entre le 9 et le 11 décembre, des banques US et
Européennes demandent à fixer les prix d’investissement en euro de maintenant
pour les revendre d’ici un an, ce qui veut dire qu’elles anticipent une baisse
de l’euro. Le 12 décembre, l’euro commence sa chute.
Le 16 décembre,
l’agence de notation qui a été si efficace pour les subprime, Standard &
Poors, rétrograde la note de la
Grèce
parce que sa dette devient trop incertaine. A partir de là, moult spéculateurs
se lancent dans la course contre l’euro.
Durant tout
le mois de janvier, la Grèce a tenté de rassurer « les marchés », arguant
qu’elle allait mener des politiques d’austérité et se serrer la ceinture,
pendant qu’elle doit emprunter avec des taux d’intérêt de plus en plus élevés.
A la fin janvier, des représentants de Goldman Sachs et de fonds spéculatifs voient
des membres du gouvernement et la banque nationale grecs, afin de vérifier que
même en spéculant contre la Grèce, le pays arriverait à payer.
Et le 8
février, alors que les positions spéculatives sur l’euro atteignent déjà 8
milliards de dollars9],
tout le beau linge des fonds spéculatifs10],
réunis à Manhattan devant du poulet rôti, se mettent d’accord pour parier sur
la chute de l’euro et donc de la dette européenne. Parmi les spéculateurs en
question, Georges Soros11],
l’homme qui a inventé les hedge funds. Trois jours après cette réunion, l’euro
valait 1,36$. Depuis, bien sûr, tout le monde pousse à parier à la baisse sur
l’euro.
En trois
mois d’attaques contre l’euro, les fonds spéculatifs auraient réussi à
engranger la coquette somme de trois milliards de dollars. Une paille.
Au final, la note pour la population
Ce n’est
pas un hasard si la Grèce se retrouve dans cette situation. Les émeutes12]
se suivent depuis deux ans pour dénoncer la corruption, généralisée en Grèce13],
l’austérité et les politiques libérales. Dans ce pays, on estime de 30 à 40% de l’économie est sous-terraine et
échappent donc à toute taxe.
On le
sait, ce n’est vraiment pas nouveau : quand l’Etat s’endette, ce ne sont
pas les banques qui paient mais la population.
La Grèce
est dans la panade parce qu’elle serre la ceinture de sa population depuis déjà
trop longtemps (ce qui n’empêche pas le 1er ministre Papandreou
d’annoncer encore plus d’ « austérité »), et au niveau
européen, évidemment, Barroso reprend le refrain sur la rigueur. La réforme des retraites
« nécessaire » veut simplement dire qu’on va devoir travailler plus
ou oublier les retraites, et comme par hasard tous les pays européens de droite
comme de gauche sont en train d’y passer.
Le 3 mars,
le gouvernement grec a annoncé un plan destiné à économiser 4,8 milliards d’euros
rapidement :
hausse de différentes taxes, dont bien sur la TVA, les taxes sur l’alcool et le
tabac (+20%), soit 2,4 milliards d’euros de recettes supplémentaires, selon
l’ambition du gouvernement. Côté économies, les retraites des fonctionnaires
sont gelées et les 13 è et 14è mois des fonctionnaires14]
seront rabotés de 30 et 60%. Le but est de réduire le déficit public de 12,7% à
8,7% avant la fin de l’année. Et au cas où les camarades européens ne seraient
pas contents, Papandreou a menacé de recourir à l’
« aide » du FMI. Mais ça, on n’en parle qu’en Espagne. Déjà fin février, Papandreou avait annoncé une hausse des taxes
sur la propriété et l’essence, une baisse de 10% des salaires des
fonctionnaires, et le non remplacement d’un départ sur cinq à la retraite.
Alors les
grèves générales se succèdent en Grèce, tout comme en Islande, où le pays va
probablement devoir rembourser les 4 milliards perdus par des épargnants
spéculateurs anglais et hollandais. Et les forces de l’ordre, comme on dit,
veillent au grain pendant que les médias dénoncent à l’unisson les « débordements ».
Où l’on reparle d’anarchistes ou même d’anarcho
autonomes, histoire de faire comme si la contestation était limitée à une
extrême gauche forcément irréaliste et de justifier la répression.
Après la
Grèce, le Portugal ? Le pays, lourdement endetté à la suite de quatre
ans de politiques ultra libérales15]
menées par le « socialiste » fan de l’Europe libérale José Socrates,
vient de démarrer un super « plan de stabilité et de croissance»
(= austérité) censé faire baisser le déficit de 9 à 2,8% du PIB en 2013. Alors
on va couper sec dans les dépenses à caractère social et dans les budgets des
ministères de la Justice (-40%), de l’Economie (- 80%), de la Santé (-26%) et
du Travail (-37%), sans oublier de geler les salaires des fonctionnaires
pendant quatre ans, de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux qui part à la
retraite, de diviser par deux l’investissement public et de continuer les
privatisations16].
Et c’est « nécessaire » : le pays figure parmi les cibles des
spéculateurs, juste après la Grèce.
Ou
peut-être que la prochaine cible sera la livre, puisque début mars la
livre a commencé à baisser, pour valoir 1,52 $ à la mi mars contre 1,65 $ fin
novembre 2009. En fait, la livre chute de manière continue depuis janvier 2010.
Ce qui se prépare
Certes,
dans l’immédiat, la baisse de l’euro a plutôt tendance à nous arranger puisque
nos produits deviennent moins chers sur les marchés internationaux. Ca fait
assez longtemps que tous se plaignent de l’euro trop fort pour qu’on se demande
pourquoi, soudainement, la baisse de l’euro est un drame.
Mais, en
réalité, l’attaque contre l’euro intervient alors que le dollar est lui aussi
très faible et très menacé (la Chine commence à faire mine de ne plus vouloir
acheter des masses de dollars et se rapatrie sur l’or17]),
et que le processus global en cours est celui d’une union monétaire
internationale. Et dans tous les pays, l’argent a été gaspillé si bien qu’aujourd’hui
les politiques présentent l’ardoise aux contribuables que ce soit en France,
aux Etats-Unis, en Angleterre, en Estonie où le FMI fait sa loi, etc.
Les pays
sont tous en train de faire exploser
leur dette et leur déficit
publics (en partie grâce à la crise mais pas seulement), pour le plus grand
profit de ceux qui « prêtent ». Au nom de la "compétitivité" et désormais au nom de la "réduction des déficits", il s'agira d'achever la liquidation du patrimoine national, des services publics et acquis sociaux. Pour le plus grand profit des mêmes.
Autre
point à souligner : dans tous les pays, on applique les mêmes recettes
libérales, que le gouvernement soit de droite libérale ou de droite
« socialiste », et cela depuis plus de vingt ans. Il y a forcément
une trame derrière pour qu’il y ait une telle constance dans le processus.
Depuis
quelques années, d’aucuns, à droite comme à gauche, évoquent une
« monnaie mondiale »18],
comme une hypothèse. Pour eux, une monnaie mondiale règlerait tous les problèmes,
et ceux qui s’expriment le plus à ce sujet oublient de penser à la question de
l’émission monétaire : qui aura le pouvoir de créer la monnaie et qui
encaissera les intérêts ? Beaucoup de visions différentes de ladite
monnaie mondiale courent en ce moment dans les médias. Le principal intérêt de
ce caquetage quasi généralisé est de mettre le sujet à l’ordre du jour.
Tous ces
gens, qui sont tous bien placés dans l’establishment créent un concept, lui
donnent petit à petit une réalité jusqu’à ce que l’idée devienne incontournable.
Mais pour ceux qui y pensent depuis des dizaines d’années, la monnaie mondiale
n’est que le corollaire de la banque centrale mondiale qui bien sûr sera entre
les mains des principales banques actuelles et de leurs actionnaires.
Par
exemple en 2007, Jean-Jacques Rey, fan de monnaie unique, ex ambassadeur de la
commission européenne et ex directeur de la Banque Nationale de Belgique, prenait moult pincettes pour dire que la
monnaie mondiale c’est le top: « la
monnaie mondiale, ce n'est ni une prévision ni un vœu. Tout de même, à une
époque où la mondialisation est sur toutes les lèvres, le sujet mérite
peut-être discussion (…) La monnaie mondiale a ses protagonistes et ses
détracteurs, mais elle n'est pas sujet tabou ». Ben oui : il faut
un « système monétaire international », évidemment. Ca va tout régler
et puis on sera tous en harmonie avec une monnaie mondiale. Pas de bol, selon
M. Rey « les obstacles sont encore
trop grands pour songer sérieusement à son avènement ». Sans surprise,
le corollaire de ladite monnaie mondiale est une banque centrale mondiale avec
les pleins pouvoirs en matière monétaire.
Encore une
fois on utilise le prétexte de réguler pour globaliser, centraliser et au final
contrôler tout le système monétaire mondial. C’est d’ailleurs très drôle
qu’après chaque crise boursière et spéculative, toujours en grande partie
artificielles, certains illuminés en profitent pour proposer un nouveau truc,
comme la Réserve Federale US en 1913 ou le Marché Unique avec monnaie unique
après guerre en Europe, par exemple.
C’est à se
demander si les banques comme Goldman Sachs, qu’on retrouve parmi les
protagonistes de l’éclatement de nombreuses bulles spéculatives depuis plus
d’un siècle, ne le font pas exprès.
Revenons à
Rey, qui nous explique que sa banque centrale mondiale sera « appelée à rendre des comptes au Fonds
Monétaire International en tant qu'organe politique garant de sa légitimité
démocratique ». Diantre, serait-ce une plaisanterie ? On connaît
tous le caractère extrêmement démocratique du FMI, où les Etats-Unis ont un
droit de veto et dont les politiques sont décidées par un type nommé selon on
ne sait quels critère et par on ne sait qui. Mais la banque centrale mondiale
aurait un statut « indépendant », un peu comme l’
« indépendance » de la Banque centrale Européenne ou Française,
pilotées par les grandes banques.
Rey
s’appuie sur des théoriciens fanatiques de la monnaie unique, pour lesquels il
faut un « espace optimum », plus grand que ne le sont l’Europe ou les
Etats-Unis. Un autre « obstacle » à la monnaie mondiale est, selon
Rey, la question de la « gouvernance », autre lubie récente qui
signifie « comment diriger sans que la population n’intervienne, et sans
qu’elle conteste les décisions? ».
Récemment,
c’est Medvedev, le président Russe, qui a appelé à la création d’une « monnaie supranationale ». Et certains ont enchaîné comme Berlusconi, apparemment séduit par
cette grande idée, si bien que la proposition a été faite au G 8 qui s’est tenu
en Italie à l’Aquila en juillet 2009. Dans la foulée, la Chine a elle aussi mis
le sujet sur la table, mais pour une monnaie de réserve, du moins dans un
premier temps.
En
septembre 2009, la CNUCED (conférence de l’ONU pour le commerce et le
développement) recommandait la mise en place d’un système monétaire
multilatéral,
c’est-à-dire complètement centralisé. L’organisme pointait les problèmes de
taux de change (eh oui, alors qu’on pourrait se dire que le problème essentiel
du système financier n’est pas là), et quel meilleur moyen de régler ce
problème qu’en instaurant une monnaie unique ? C’est du moins l’idée qui
est développée dans le rapport, mais encore une fois
avec beaucoup de pincettes19].
Et comme par hasard, aujourd’hui la crise de la dette grecque n’est ni plus ni
moins qu’une crise de change due à des attaques spéculatives, comme on en a toujours
connu.
Depuis des
années, sous la pression des banques, on s’acharne à déréglementer au maximum
tout ce qui se rapporte à la finance et à la spéculation. Si quelques uns se
cassent la figure, comme Lehmann Brothers, d’autres s’en tirent très bien,
comme Goldman Sachs. Au final, force est de constater que les profits, de même
que la force de nuisance, sont concentrés entre quelques acteurs. Que
veulent-ils, ces acteurs principaux ? Evidemment se faire plus d’argent
sans aucun contrôle. Et le meilleur moyen d’y arriver c’est de centraliser au
maximum le pouvoir en matière monétaire, et puis tant qu’à faire en matière de
contrôle et de régulation20].
C’est pour cela qu’aujourd’hui les médias commerciaux commencent à évoquer
cette histoire de monnaie mondiale etc.
Parce que
même si, dans l’absolu, on pourrait se dire qu’une monnaie unique permettrait
éventuellement rendre le système plus stable, il faut avoir conscience qu’en
l’occurrence il ne s’agit absolument pas de changer les règles du jeu :
bien au contraire, cette monnaie unique avec une banque centrale mondiale
« indépendante » du politique qui peut faire ce qu’elle veut ne sera
que l’instrument d’une domination totale du monde par le pouvoir d’émettre ou
non de la monnaie.
Enfin, il
y a un pendant politique à cette centralisation du pouvoir économique. Car il
faut bien un système politique global, même s’il ne sert concrètement à rien à
part endormir les masses.
Parallèlement,
donc, on assiste à une fusion politique entre les Etats-Unis et
l’Europe, mais aussi entre les Etats-Unis et l’Amérique Latine. On a des machins qui s’appellent
« Alliance transatlantique », « partenariat économique transatlantique », ou plus
récemment « partenariat stratégique », et qui sont destinés à favoriser
le commerce transatlantique dans un « marché transatlantique » avec zéro
« barrière » au commerce21].
C’est piloté par d’autres machins comme le « Transtlantic Policy Network »22],
le « Transatlantic Strategy Forum »23],
le « Transatlantic
Legislators Dialogue »24]
ou même le « New Global Puzzle », mais il y a toute une nébuleuse de
lobbies
divers et variés sur ce créneau puisqu’il s’agit au final de faire encore plus
de blé. Quand au discours pour le grand public, il est simple. Comme l’a plus
ou moins résumé le ministère des Affaires étrangères Français dans un « document de réflexion » envoyé en
septembre 2008 aux gouvernements européens, document destiné à jeter les bases
de la collaboration avec Obama : puisque « l’ordre mondial a
évolué » et que « la puissance
globale appelle des responsabilités globales que nous devons partager pour
inscrire la fougue des pays émergents dans un cadre multilatéral », il
convient d’agir à l’unisson avec les Etats-Unis, et cela sur tous les plans.
Bien sûr, aucun de ces groupes n’est démocratiquement élu : la technique
c’est l’entrisme. Comme ça on reste entre soi.
Plus récemment, un think tank européaniste et même mondialiste, le LEAP 2020 (totalement opaque mais qui publie quand même dans le Financial Times), a publié une note sobrement intitulée "Les cinq séquences de la phase de dislocation géopolitique mondiale". Et, ô surprise!, les auteurs (inconnus) expliquent sur un ton alarmiste que "En cette fin de premier trimestre 2010, au moment où sur les fronts monétaires, financiers, commerciaux et stratégiques, les signes de confrontations se multiplient au niveau international, tandis que la violence du choc social de la crise se confirme au sein des grands pays et ensembles régionaux, LEAP/ E2020 est en mesure de fournir un premier séquençage anticipatif du déroulement de cette phase de dislocation géopolitique mondiale".
Alors ça c'est fort. Un "séquençage anticipatif", ça veut dire quoi? Qu'un scénario est élaboré pour passer à la suite, c'est-à-dire "une refonte complète du système monétaire international" et l'instauration d'un "système basé sur une devise internationale": la fameuse (et fumeuse) monnaie unique.
Autrement dit: tout part en vrille, et la manière de résoudre tous les problèmes c'est la monnaie mondiale unique. ce qu'on ne dit pas, et ce qu'on ne nous dira probablement pas, c'est que la création monétaire sera toujours entre les mains des banques, mais cette fois seulement quelques grandes banques au niveau mondial contrôleront la banque centrale mondiale qui va forcément avec la monnaie mondiale.
Pourquoi rendrait-on d'un coup le pouvoir monétaire aux populations, après les avoir spoliées?
Pour le LEAP 2020 et son fondateur Franck Biancheri, le G20 de l'année dernière à Londres était le dernier rempart avant "la dislocation géopolitique mondiale". En d'autres temps, ils se seraient probablement baladés avec un gong dans la main pour annoncer la fin du monde, aujourd'hui le délire la globalisation totale.
Les "chercheurs" anonymes du LEAP expliquent ensuite que les tensions s'exacerbent au niveau mondial. Et de citer quelques exemples:
- la dégradation régulière des relations sino-américaines (Taiwan, Tibet,
Iran, parité Dollar-Yuan (5), baisse des achats de Bons du Trésor US,
conflits commerciaux multiples, …) ==> Ce n'est hélas pas nouveau, et seuls des libéraux orthodoxes sont capables d'envisager qu'une monnaie mondiale réglerait tout ça.
- les dissensions transatlantiques croissantes (Afghanistan,
OTAN, contrats ravitailleurs US Air Force, climat, crise
grecque, …)
==> Pas nouveau non plus, loin de là. Et encore, c'est à relativiser au vu du nombre de lobbies atlantistes qui pondent rapport sur rapport et analyse sur analyse, et de la parfaite harmonie en matière de commerce et d'idéologie entre les Etats-Unis et l'Europe.
- la paralysie décisionnelle de Washington
==> Ca, c'est nouveau. Mais il serait étonnant que ça inquiète beaucoup les populations du Tiers Monde, du Moyen-Orient, ou les humanistes et les gauchistes de tout poil.
- l'instabilité sans répit au Moyen-Orient et l'aggravation
des crises potentielles Israël-Palestine et Israël-Iran
==> Alors là on est dans le délire le plus complet: ça fait un bon siècle que la tension autour de la Palestine et d'Israël est très forte, idem pour le reste. Historiquement, le Moyen-Orient a toujours été un terrain de chasse pour les occidentaux qui s'amusent à se tirer dans les pattes par populations interposées. Rien de nouveau non plus, donc.
- le renforcement des logiques de blocs régionaux (Asie, Amérique
latine et Europe en particulier)
==> Renforcement par rapport à quoi? à quand? Et les "blocs" pointés du doigt, c'est le monde entier sauf les Etats-Unis et la Russie qui, c'est bien connu, sont tout à fait œcuméniques.
- la volatilité monétaire et financière mondiale accrue
==> sCertes, mais c'est du à la crise de la spéculation liée aux subprime, et aux attaques spéculatives des fonds de pensions et de banques comme Goldman Sachs. Accessoirement, tout cela n'est possible que parce qu'on a laissé faire ces messieurs les banquiers et autres spéculateurs comme ils voulaient, prenant pour argent comptant leurs promesses d' "autorégulation". Ce n'est donc certainement pas une monnaie unique basée sur le même modèle qui règlera la "volatilité monétaire et financière".
- l'inquiétude renforcée sur les risques souverains
==> Les risques souverains (= endettement trop important de l'Etat) vont eux aussi de pair avec l'orthodoxie ultra libérale qui coupe toutes ses ressources aux Etats en leur demandant de financer l'économie un maximum.
- la critique croissante du rôle des banques US associée à une
réglementation visant à régionaliser les marchés financiers
==> Pas nouveau non plus, quant à la régionalisation on peut rester perplexes.
- etc...
.
____________________________
Bref, les
acteurs internationaux de la finance se montrent très actifs depuis longtemps
et on ne peut qu’admirer leur constance dans la dérégulation et la
centralisation de la décision en matière monétaire et commerciale. Le diktat du
libéralisme poussé à l’extrême vaudra pour tout le monde. Et il ne faut pas se
leurrer : le modèle de ce système monétaire, et son corollaire politique
destiné à amuser la galerie, est supra national. Ou quand l’élite, totalement
décomplexée, fait à sa guise dans le seul but d’amasser individuellement un
maximum de pognon.
[1] Rapidement, il faut quand-même présenter
cette grande banque créée en 1869. Son chiffre d’affaires
est exponentiel ces dernières années : 16
milliards de dollars en 2003, et 46
milliards en 2007. Idem pour le bénéfice par action qui est passé de 6 à 26
dollars dans le même temps (avant de revenir aujourd’hui au niveau de 2006, ce qui a amené les actionnaires à dire
qu’il fallait les rémunérer eux et pas les traders). Goldman Sachs est à l’origine -avec certaines banques du même gabarit-
de nombreuses crises financières depuis plus d’un siècle (1929, bulle Internet,
subprime…), et la banque fournit de nombreux hauts fonctionnaires à pas mal de
gouvernements (par exemple, Henri Paulson, à l’origine du plan de sauvetage US,
ex ministre des Finances et ex président du Conseil d’Administration de Goldman Sachs, ce qui permet de mieux comprendre ce
qui s’est passé). Accessoirement, Goldman Sachs, qui compte verser près de 12
milliards de dollars rien qu’en bonus, n’a payé que 14 millions d’euros
d’impôts aux Etats-Unis où elle a son siège, et cela grâce aux paradis fiscaux (oui oui, ceux qui ont disparu). Parmi
les gros actionnaires de Goldman on a AXA (4,8%), la banque
Barclays (4,4%), moult fonds d’investissement comme BlackRock (qui détient 3,2% de Goldman et dont les
fonds sont souvent basés au Luxembourg. Black Rock est elle-même détenue par Bank of America à 34,2%, Barclays à 20% etc.) mais aussi des gens
comme Lakshmi Mittal, ou Lloyd Blankfein, PDG de la banque et membre du staff
de campagne d’Hillary Clinton en 2008.
[2] C’est sous son mandat de 1er
ministre que les émeutes à Athènes et dans les grandes villes du pays ont
démarré en décembre 2008, et bien sûr sa réaction a été de
condamner ces manifestations (les manifestants ont en effet été qualifiés d’
« ennemis de la démocratie ») et de les réprimer, ce qui a
amené aux émeutes. On se souvient qu’un jeune de 15 ans avait été abattu par la
police. Caramanlis a ensuite du anticiper les législatives et a perdu.
[3] Par exemple, l’affaire Siemens a été
retentissante en 2006: des cadres du groupe ont versé des pots-de-vin
(14,5 millions d’euros) à des
politiciens Grecs du parti conservateur et du parti socialiste. Certes, c’est
pareil en France avec les marchés publics. Caramanlis en avait profité pour
fonder sa campagne sur la lutte contre la corruption à laquelle s’était
joyeusement livré le parti socialiste quand il était au pouvoir avant 2004. Il
y a aussi l’affaire MAN, où un constructeur automobile Allemand
était accusé d’avoir versé des pots-de-vin pour obtenir des contrats avec
l’entreprise publique de transport d’Athènes et du Pirée, entre 2000 et 2002.
Mais MAN a des contrats avec les sociétés publiques et pour la Défense depuis
les années 80. L’affaire Pavlidis a quant à elle démarré en 2007, lorsque
Aristotélis Pavlidis, ex ministre socialiste de la Marine Marchande, a porté
plainte pour corruption contre un armateur. L’armateur a ensuite dit qu’un
collaborateur de Pavlidis l’avait obligé à verser de 800.000 à 1 millions
d’euros en chèques ou en espèces en 2006 et 2007., afin que ses bateaux
assurent des liaisons dans des conditions financières favorables. D’autres
accusations suivent contre Pavlidis, de la part d’un maire, pour
« partialité »…
[4] Ces CDS sont
des contrats d’assurance bilatéraux destinés à se protéger d’un défaut de
paiement, créés par une mathématicienne de JP Morgan en 1997 afin de disperser les risques pris sur les positions les plus
foireuses. Ils ont beaucoup servi pendant la bulle spéculative sur les
subprime, justement : la valeur des CDS était de 900 milliards de dollars
en 2001, et de 62.000 milliards en 2008, quand la crise a vraiment commencé. AIG a coulé pour avoir trop pris de ces
CDS (pour 450 milliards de dollars apparemment): quand les gens
n’ont plus pu rembourser leur emprunt subprime, la banque qui devait garantir
de nombreux CDS portant suir ces crédits immobiliers s’est retrouvée le bec
dans l’eau, sans avoir suffisamment de fonds pour compenser.
[5] Qui est l’un des gros clients de Goldman
Sachs puisque la banque réalise la plupart des transactions du fonds
Paulson.
[6] Qui est en partie contrôlée par la
famille Rockefeller depuis la fusion de JP Morgan et de la Chase Manhattan Bank.
[7] Il est question de réduire le déficit de
4% avant la fin de l’année. La Grèce a présenté son plan de rigueur le 15 mars.
[8] Dont ceux de Paulson (qu’on retrouve
avec Goldman Sachs pour spéculer à la baisse sur la dette de la Grèce) et
Soros, par exemple. Ce qui n’empêche pas Soros d’écrire des bouquins pour
dénoncer la spéculation et expliquer comment il faut sortir de la crise.
[9] Le 2 février, il y avait 40.000 contrats à terme sur l’euro, et 60.000 trois semaines plus tard. La
grande majorité portait sur la dette Grecque, puisque la rentabilité d’un
contrat à 10 ans sur la dette de la Grèce valait le double du même contrat sur
la dette Allemande.
[10] Parmi
lesquels SAC Capital Advisors, Soros Fund Management, Greenlight Capital,
Monness, Crespi, Hardt & Co, Brigade Capital
[11] On doit à Georges Soros (« l’homme qui a fait sauter la banque d’Angleterre ») d’avoir
crée le système des hedge funds dans les années 70, mais aussi d’avoir coulé la
livre sterling en 1992. Il a vendu des milliards de livres, sans avancer
d’argent, pour les racheter beaucoup moins chères ensuite, pariant donc massivement
à la baisse, et empochant au passage un bon milliard de dollars. A la suite de
cela, la livre est sortie du système monétaire européen (SME). Goerges Soros
s’amuse en effet beaucoup à faire la morale
en matière de spéculation et de finance (mais aussi de démocratie et de droits
de l’homme, via l’Open Society et la Fondation Soros), alors qu’il est le premier à tirer
profit des pires dérives.
[12] D’après Papandreou, la Grèce est « en état de guerre »…
[13] D’après un rapport de Transparency
international sorti
comme par hasard début mars, les Grecs auraient versé 790 millions d’euros en
pots-de-vin en 2009 pour 9 millions de majeurs. Etrangement, ce n’est pas le
BTP qui arrive en tête en ce qui concerne la corruption dans le secteur public,
mais les hôpitaux (un tiers des faits de corruption). Le pot-de-vin moyen est
de 1.355 euros dans le public et 1.671 euros dans le privé.
[14] 22% de la population active grecque
travailleraient pour l’Etat soit environ 1 million de personnes.
[15] Avec le schéma classique : baisse des impôts pour les riches et les entreprises et donc chute des recettes fiscales, augmentation de la TVA, gel du salaire des fonctionnaires, bas salaires et flexibilité, baisse du nombre de fonctionnaires, augmentation du chômage, fermetures d’écoles et d’hôpitaux, privatisation des services publics…
[16] Censée assurer 6 milliards d’euros de
rentrées supplémentaires dans les caisses de l’Etat.
[17] La Chine a en effet revendu en quelques
semaines 34, 2 milliards de bons du Trésor US (= une partie de la dette US)
[18] Mais l’idée n’est pas neuve puisque Keynes en parlait déjà.
[19] On parle plus spécialement de
généraliser des DTS, des Droits de Tirage Spéciaux, qui sont utilisés par le FMI pour ses
prêts.
[20] C’est exactement le système des banques
centrales, quand la création de monnaie est décidée par les actionnaires des
banques qui composent les banques centrales. Ca s’appelle le comité des
gouverneurs par exemple, mais les orientations viennent directement de ceux qui
ont l’argent, c’est-à-dire les banques. La création de la Réserve Fédérale aux Etats-Unis en 1913 a elle aussi été
inspirée par les principales banques de l’époque, qui voulaient avoir le
contrôle de la planche à billets. Du coup, quand le gouvernement s’endette, c’est
auprès des banques mais plus en imprimant des billets comme on l’a longtemps
fait en Europe. Grâce au système des banques centrales, quand les Etats
s’endettent, les banques se gavent. Là où le système est génial, c’est qu’en
fait les banques créent de l’argent ad
hoc pour prêter (à l’Etat, une entreprise, un particulier…), se font
rembourser, et perçoivent en plus un intérêt.
[21] Les fameuses « barrières non
tarifaires » au commerce, c’est-à-dire essentiellement les normes
sociales, sanitaires ou environnementales.
[22] Le TPN est un espace de débat et
d’orientation du débat qui regroupe des élus des parlements européen et US pour
discuter avec les représentants des plus grandes multinationales (BASF, Bayer,
BP, Coca Cola, Caterpillar, Deutsche Bank, Boeing, Michelin, IPP, Pfizer,
Véolia, Unilever etc.) de la manière d’améliorer le commerce et les affaires.
Le TPN est présidé par l’inénarrable Peter Sutherland,
ex commissaire à la concurrence qui est toujours dans le staff de Goldman
Sachs, mais aussi dans celui de BP. L’homme est aussi un pilier du Bilderberg
et le président pour l’Europe de la commission Trilatérale créée par David
Rockefeller pour rapprocher l’Amérique, l’Europe et l’Asie.
[23] Destiné à encourager une « vision transatlantique des enjeux
stratégiques ».
[24] Le Transantlantic Legislators Dialogue, comme son nom l’indique, regroupe lui aussi des élus des deux côtés de l’Atlantique, comme le porte parole du PS Benoît Hamon ou Jean-Marie Cavada. Il a été mis en place dans les années 70 pour rapprocher les parlementaires US et Européens.